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Page:Hugo - Œuvres complètes, Impr. nat., Roman, tome III.djvu/393

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PRÉFACE PHILOSOPHIQUE.

malsain. Les branches de la forêt chuchotent lugubrement. C’est l’heure où les bêtes de la trahison s’éveillent ; la paupière du mal s’entr’ouvre ; les yeux du guet-apens flamboient. À l’obscurcissement de la matière répond on ne sait quelle anxiété morale.

Opacité vertigineuse qui inquiète le philosophe et qui égare l’ignorant. Hélas ! pourquoi donc la lumière discontinue-t-elle ? Pourquoi y a-t-il une heure qui a l’air donnée au mal ? Pourquoi la fatalité apparaît-elle en quelque sorte visible sous cette forme de l’éclipsé ? Quand on considère, contemplation morne, la figure funeste des ténèbres, il est impossible de ne pas se dire, avec un certain frémissement, qu’il y a de la caverne dans la nuit, et, qui sait ? du crime peut-être dans l’obscurité ? Il ne semble pas que cette profondeur-là donne dé bons conseils. Caïn n’était pas autre chose qu’un regardeur de ténèbres.

Il fait nuit, dit Socrate, cela est mauvais. Nox malesuada, dit Tacite.

Le hibou encourage le bandit. Le renard montre au voleur la manière de se servir de l’obscurité. Les nuées ébauchent des antres ; les vastes courbes du ciel deviennent des cercles d’enfer. L’œil s’y perd, et la conscience aussi. Il était nuit quand Néron songea : Nox erat, Nero cogitavit. Tous les effluves des ténèbres semblent des exhortations au mal. Comment empêcher, comment arrêter, comment déconcerter ces effrayants envois de l’ombre dans les âmes ?

On ne combat l’ombre que par la lumière, on ne combat la nuit que par le soleil, on ne combat le mal que par Dieu.

Orate, orate, criait Jean à Pathmos.


[VIII]]

Si l’on élague les innéités intuitives, quelle certitude y a-t-il ?

La certitude est-elle dans notre morale ?

N’approfondissons pas ce point ; les temps ne sont pas venus ; bornons-nous à ce simple mot : pour notre morale la forme suprême de la beauté est une indécence à cacher. La nudité d’un lys est pudique, la nudité d’une femme ne l’est pas. Nos préjugés le veulent ainsi. Pourtant, il est certain que la contemplation de la femme peut se faire du pied de l’autel et être un acte religieux. Platon le pense, Lycurgue aussi, Salomon aussi, Mahomet aussi.

N’importe, la création manque de pruderie. Chose triste, notre vertu