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PRÉFACE PHILOSOPHIQUE.

[XIV]

Moribonds repoussant l’église, refus des dernières prières, ordre du testateur de porter directement son cercueil au cimetière ; ces symptômes se multiplient en ce moment. Ils ont une portée politique. Et, à un autre point de vue encore, et plus élevé, ils sont sérieux.

Il y a, à cette heure, chez quelques-unes des nations les plus civilisées, une certaine tendance aux protestations de la mort. Cet emploi du sépulcre | aux choses de la vie |veut être examiné.

Des hommes, des hommes respectés, quelquefois-des hommes illustres, se dressent au moment d’expirer, regardent austèrement les temples du haut de leur lit d’agonie, étendent la main comme le prophète contre Babylone, et interdisent l’approche de leur âme au sacerdoce stupéfait. — Pas de pagode, pas de mosquée, pas de synagogue ; pas de prêtre, pas de livre ; je veux m’en aller seul et mettez-moi dans la fosse des pauvres. — Ainsi a parlé un sombre et tendre penseur. D’autres, non moins vénérés, ont répété le même geste de réprobation et de rejet. Plus d’un meurt de la sorte. Et il est grave, en vérité, que le signe qui repousse le prêtre vienne d’une tête éclairée de la lueur étrange du tombeau.

Nous ne le contestons pas, dans les temps et dans les pays où le pharisaïsme règne, en présence de Simon et d’Anne, ces sévérités peuvent être nécessaires. En voyant Mathan venir à elle pour lui parler de Dieu, la mort abaisse chastement son voile de ténèbres. Là où commence la responsabilité vraie, la fausse prière n’a que faire, et l’agonie en fait justice. L’agonie est une voisine du mystère, et ce qu’elle entrevoit de l’éternité lui rend insupportables les faux dogmes et les faux prêtres. De là ces éloignements terribles.

Certes, plusieurs des religions actuelles n’ont que trop mérité ces protestations suprêmes. Et, quant à moi, ennemi des vendeurs du temple, non moins incliné devant Jésus le fouet à la main que devant Jésus les bras en croix, loin d’infirmer ou de blâmer ces manifestations qui sont presque des pénalités, je m’y associe. Il y a telle heure dans l’histoire où il est bon que la conscience humaine éclate et montre son visage le plus sévère ; et les morts doivent l’exemple aux vivants. Qu’au moment d’entrer dans la tombe, le mort se retourne et écarte le prêtre, cela est grand. Vade retro, Caïphas.

Mais écarter le prêtre, ce n’est pas écarter Dieu ; repousser le pharisaïsme,