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RELIQUAT DES MISÉRABLES.

Magnon dans le douzième arrondissement. On n’eut rien à y ajouter ni à y retrancher. La pauvre petite était toute costumée pour la comédie de la misère.

Elle se laissa manier et prendre et emmener par la Magnon avec cette stupeur qui est la résignation des enfants. Rien n’est navrant pour l’observateur comme cet accablement étonné et tranquille.

La Magnon prit place avec Cosette dans un coucou de Chelles pour Paris.

— Je vous la rapporterai dans huit jours, cria-t-elle.

Le lendemain ou le surlendemain, elle se présentait, augmentée de Cosette, à la mairie du cinquième arrondissement. Cette mairie était située alors dans le tronçon de la rue Saint-Jacques compris entre la rue des Ursulines et le cul-de-sac des Feuillantines. La rue est là assez étroite. La Magnon y remarqua de l’encombrement : deux ou trois voitures bourgeoises à la porte de la mairie, auxquelles s’était ajustée une queue de fiacres, force mendiantes, ses doyennes. — Quelque mariage ! pensa-t-elle.

Elle entra dans la salle basse où était le bureau de bienfaisance, se fit complimenter de Cosette par l’employé, et reçut un bon de pain et de cotrets pour le trimestre dans la forme où la ville les distribuait à cette époque.

En sortant, elle vit beaucoup de monde dans l’escalier. Assez habituellement dans les mairies on reçoit la charité au rez-de-chaussée et l’on se marie au premier.

— Ah çà ! se dit la Magnon, si je montais regarder le mariage.

Et elle ajouta :

— Quelquefois ces gens-là donnent. Ils se figurent qu’ils vont être heureux. Ils sont si bêtes !

Elle prit Cosette dans ses bras, à cause de la foule et monta. Cosette, indifférente, se taisait.

La Magnon, robuste, jeune, et se faisant place parmi les vieilles à coups de coude, pénétra dans la salle de la mairie.

Il y avait mariage en effet.

La salle offrait un aspect majestueux ; une estrade, une table, le maire tout noir, en écharpe blanche ; devant le maire, des papiers, des plumes, l’encrier de la loi, un gros volume, le code, ayant sur sa tranche l’arc-en-ciel, un adjoint, deux appariteurs ; au fond, le large buste du roi régnant.

Un garçon de bureau contenait le peuple.

Devant la table, les gens de la noce, endimanchés, comme il convient pour ce grand dimanche-là, faisant face au maire et tournant les épaules à la cantonade, étaient assis sur deux rangées de fauteuils. — Des riches, pensa la Magnon, S’ils étaient pauvres, ce seraient des chaises.

Le père et la mère, solennels, opulents, resplendissaient ; la mariée était en chapeau blanc, la couronne de fleurs d’oranger étant réservée pour l’église ; le marié, irréprochable dans son habit noir, était jeune, sérieux et chauve.

La Magnon, comme tout le monde, ne voyait que les dos.

La cérémonie venait de commencer. Les mariés étalent debout.

Le maire, aux termes de la loi, donna lecture du chapitre vi du titre du mariage. Il souligna, comme il sied, avec un accent vraiment municipal, le verset essen-