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LE SOIR D’UN JOUR DE MARCHE.

et un berceau dans un coin, quelques chaises de bois et un fusil à deux coups accroché au mur. Une table était servie au milieu de la chambre. Une lampe de cuivre éclairait la nappe de grosse toile blanche, le broc d’étain luisant comme l’argent et plein de vin et la soupière brune qui fumait. À cette table était assis un homme d’une quarantaine d’années, à la figure joyeuse et ouverte, qui faisait sauter un petit enfant sur ses genoux. Près de lui, une femme toute jeune allaitait un autre enfant. Le père riait, l’enfant riait, la mère souriait.

L’étranger resta un moment rêveur devant ce spectacle doux et calmant. Que se passait-il en lui. ? Lui seul eût pu le dire. Il est probable qu’il pensa que cette maison joyeuse serait hospitalière, et que là où il voyait tant de bonheur il trouverait peut-être un peu de pitié.

Il frappa au carreau un petit coup très faible.

On n’entendit pas.

Il frappa un second coup.

Il entendit la femme qui disait : — Mon homme, il me semble qu’on frappe.

— Non, répondit le mari.

Il frappa un troisième coup.

Le mari se leva, prit la lampe, et alla à la porte qu’il ouvrit.

C’était un homme de haute taille, demi-paysan, demi-artisan. Il portait un vaste tablier de cuir qui montait jusqu’à son épaule gauche, et dans lequel faisaient ventre un marteau, un mouchoir rouge, une poire à poudre, toutes sortes d’objets que la ceinture retenait comme dans une poche. Il renversait la tête en arrière ; sa chemise largement ouverte et rabattue montrait son cou de taureau, blanc et nu. Il avait d’épais sourcils, d’énormes favoris noirs, les yeux à fleur de tête, le bas du visage en museau, et sur tout cela cet air d’être chez soi qui est une chose inexprimable.

— Monsieur, dit le voyageur, pardon. En payant, pourriez-vous me donner une assiettée de soupe et un coin pour dormir dans ce hangar qui est là dans ce jardin ? Dites, pourriez-vous ? En payant ?

— Qui êtes-vous ? demanda le maître du logis.

L’homme répondit : — J’arrive de Puy-Moisson. J’ai marché toute la journée. J’ai fait douze lieues. Pourriez-vous ? En payant ?

— Je ne refuserais pas, dit le paysan, de loger quelqu’un de bien qui payerait. Mais pourquoi n’allez-vous pas à l’auberge ?

— Il n’y a pas de place.

— Bah ! pas possible. Ce n’est pas jour de foire ni de marché. Êtes-vous allé chez Labarre ?

— Oui.