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Page:Hugo - Œuvres complètes, Impr. nat., Roman, tome IV.djvu/573

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RELIQUAT DES MISÉRABLES.

dénoncé la catastrophe à l’infini. Le simoun est-il un méchant ? C’est possible. Que l’élément ait conscience, que le fléau fasse du zèle, que l’incendie et l’inondation soient les valets du mal, que la hache soit féroce, que la vipère glisse dans la même noirceur que Marie Tudor ou Catherine de Médicis, que le Cydnus ait assassiné Alexandre, que l’écroulement de Lisbonne soit un coup d’état, que la morsure du loup à l’agneau soit de la même espèce que les questions de Caïphe à Jésus, que le faux pas soit calculé par la pierre du chemin, que le précipice soit intentionnel, que le vautour soit un bandit, que la ciguë soit une empoisonneuse, que le champignon sache ce qu’il fait, que l’avalanche soit une scélérate, notre esprit l’a rêvé ou entrevu ; ces visions sont de la vérité peut-être ; rien ne donne à l’intelligence humaine le droit de l’affirmer. Nous n’avons pas la notion de la responsabilité de l’abîme. Nous ne savons comment nous y prendre pour dire au gouffre : tu es injuste. Nous n’avons rien à voir aux mauvaises actions de l’immensité : elles sont ce qu’elles sont ; nous ne nous y connaissons pas.

La première condition pour juger une chose, ou un être, ou un fait, c’est d’en voir les deux extrémités. Or, dans l’insondable, nous n’apercevons que de vagues anneaux de séries ; d’extrémité, jamais. Là, pour nous, rien ne commence, et rien ne finit. Qu’avons-nous à dire à ce qui est là-bas, là-haut, dehors, au delà, plus loin que l’homme ? c’est l’absolu. La critique du soleil est vaine. Notre infimité est telle que nous croyons sentir les imperfections de la perfection. Est-ce la faute de la perfection ? Oui, répondent certains esprits audacieux, qui continuent l’escalade de Spinosa. Le contemplateur religieux se contente de secouer la tête.

L’immanent est hors de notre portée ; et nous n’avons ni poids, ni mesure, ni mètre, ni échelle, ni étiage, ni dosage, ni éprouvette, ni tarif, ni réactif, ni pierre de touche, qui puisse nous faire connaître le bien et le mal de l’infini, et ce qui est normal dans l’énorme. Ces mots, colère, vengeance, rancune, lâcheté, trahison, haine, sont-ils applicables à toute cette ombre ? dans le prodige, la dilatation de notre loi morale arrive à l’évanouissement. Ce qui est pour nous bronze et granit devient là nuée, et se dissout, et flotte ; le requin est-il un despote, le fourmi-lion est-il un hypocrite, la pie est-elle une voleuse, le devil-fish est-il un démon, le monstre est-il un monstre ? nous l’ignorons. La loi morale proportionnée à l’absolu nous échappe par sa perfection même. L’infiniment grand est invisible à l’infiniment petit. Nous ne saurions blâmer Dieu comme nous blâmons César. Dieu a ses raisons.

Vous qui me lisez en ce moment, voulez-vous vous rendre compte de la quantité de lois que nous ignorons, dites-vous ceci : toutes les formes des nuages sont rigoureuses. Pas un atome ne se déplace au hasard. Tout flotte algébriquement.


IX


Résumons-nous.

Ne touchons pas à ce que Dieu s’est réservé. Souffrons, puisque c’est la loi. Souffrir avec joie, c’était la vertu des stoïciens, vertu chrétienne devinée par les