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Page:Hugo - Œuvres complètes, Impr. nat., Roman, tome V.djvu/372

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RELIQUAT DES MISÉRABLES.

combinaison intelligente et providentielle de ces deux axiomes également évidents et qui ne se contredisent qu’en apparence :


Tous les hommes sont égaux.
Tous les hommes sont inégaux.



Le quatrième fragment offre un tableau comparatif de la souveraineté des trois pouvoirs : la royauté, la chambre des pairs, la chambre des députés.


[IV]


À parler absolument, la souveraineté, c’est la solitude. Dieu est seul.

C’est là l’idéal de la vieille monarchie. Partout où elle est pure, absolue, divine, le prince est seul. Solitude double ; seul dans sa puissance, seul dans son palais. Ainsi tous les antiques souverains de l’Asie, le lama, le mogol, l’empereur de la Chine. Ainsi en Europe, le sultan, le pape, et le roi d’Espagne, cette espèce de calife catholique, ce prince plutôt oriental qu’européen, presque africain par les mœurs, presque asiatique par l’étiquette.

De la solitude naissent, en théorie du moins, l’inviolabilité et l’irresponsabilité. Ces trois éléments composent essentiellement et constituent politiquement la souveraineté.

De ces trois éléments l’idée moderne de monarchie n’a admis que les deux derniers. Elle a substitué à la solitude le partage.

Voici de quelle façon :

L’ancienne monarchie prenait pour point de départ la famille ; la nouvelle prend pour point de départ la nation. L’ancienne reposait sur la souveraineté du père ; la nouvelle proclame la souveraineté du peuple.

Or trois choses… — ce nombre trois est au fond de tout ; Dieu lui-même se décompose en trois. — Je reprends :

Trois choses constituent un peuple : son unité, qui fait qu’il est lui-même et non un autre ; sa forme, qui se complique nécessairement de haut et de bas et qui fait qu’il a des sommets toujours lumineux ; sa vie enfin, c’est-à-dire le mouvement de ses idées, la lutte de ses passions, la circulation de ses intérêts.

Dans la monarchie moderne, l’unité de la nation est représentée par le roi héréditaire ; la forme de l’état, par la pairie, qui devrait être aussi partout héréditaire, et qui se compose de tous les sommets ; la vie du peuple, c’est-à-dire ses idées, ses passions, ses intérêts, par la chambre des députés ou des communes. Trois faits, trois droits, trois pouvoirs.

Chacun de ces trois pouvoirs a sa part de souveraineté, part inégale comme la fonction.

La royauté est souveraine ; elle est inviolable et irresponsable. Le roi se confond