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NOTES DE L’ÉDITEUR.

Lacroix veut frapper de nouveaux grands coups, mais il réclame encore et toujours la présence de Victor Hugo à Bruxelles.


Ce que je prévois, cher maître, c’est qu’une interruption se produira, assez longue, entre le tome 6 et les tomes 7 et 8 et entre le tome 8 et les tomes 9 et 10, si vous ne venez a Bruxelles. J’ose à peine vous en reparler encore. Tant d’insistance de ma part peut vous déplaire. Cependant pardonnez-la en faveur du motif excellent qui me guide et du succès de votre œuvre que j’ai par-dessus tout en vue.


Mais Victor Hugo ne se laisse pas ébranler par toutes ces craintes. En définitive, il envoyait régulièrement sa copie ; l’imprimerie ne chômait pas un jour ; il réexpédiait les épreuves corrigées aussitôt après les avoir reçues ; l’événement devait démontrer plus tard que son absence de Bruxelles n’avait pas retardé la publication de l’œuvre, et qu’il pouvait travailler plus librement à Guernesey.

Lacroix d’ailleurs pardonne tout à Victor Hugo : il est grisé par le succès. Il écrit lettres sur lettres pour dépeindre l’enthousiasme de toute la presse, l’effet énorme produit.

Un entretien avait eu lieu entre Paul Meurice, Auguste Vacquerie et Lacroix, au sujet du livre de Waterloo. Il s’agissait de savoir s’il n’y aurait pas quelque danger à le publier en France, ou tout au moins s’il ne faudrait pas le modifier.

Lacroix écrit le 15 avril à Victor Hugo :


Vacquerie et Meurice sont d’avis que Waterloo peut être imprimé intact en France. Ce sera fait. L’Indépendance annonce aujourd’hui que les Misérables vont être saisis à Paris. — Je ne puis y croire encore.


Victor Hugo note dans ses carnets, le 15 avril :


Les journaux anglais et belges annoncent que les Misérables vont être saisis.


Au fur et à mesure des envois, Lacroix poursuivait la lecture du roman ; le 15 avril, il écrivait :


…J’ai lu les trois premiers livres[1] de la quatrième partie, je vous dis : ô maître, vous êtes grand ! votre génie est souverain. Votre pensée est un monde. Jamais langue humaine n’a pu s’assouplir et devenir un chant véritable, comme vous avez su faire de la langue française où vous analysez l’amour naissant de Cosette et de Marius, dans les pages où vous racontez la chaîne des forçats. Quel contraste ! quelle puissance et quelle douceur ! Je suis enivré, et je ne puis que vous le crier de bien loin, mais de tout cœur… J’aspire à continuer cette lecture splendide. C’est un émerveillement.


Victor Hugo avait envoyé le 17 avril les livres VII, VIII, IX de la quatrième partie. On voit qu’il ne perdait pas une minute, et l’imprimerie était largement pourvue ; tout retard ne pouvait donc être imputé qu’à elle ou à la correction, ainsi qu’en témoigne cette lettre de Mme Victor Hugo à son mari :


Depuis la loge des portiers jusqu’aux chambres royales, on trouve les Misérables, On les lit, commente, admire, et la critique elle-même est en respect devant cet agenouillement universel. Claye, chez lequel Auguste a hier porté une épreuve, lui a dit que la seconde partie des Misérables ne paraîtrait pas à l’époque fixée s’il ne prenait son parti de s’établir à l’imprimerie depuis huit heures du matin jusqu’à six heures du soir. La correction pèse sur Auguste pour l’instant, Meurice étant tout entier à sa pièce[2], qu’on joue, je vous l’ai dit, samedi. À l’occasion de cette pièce, mon mari pourra facilement dire un mot de remerciement à Meurice.


On remarquera que Mme Victor Hugo dit volontiers : vous et mon mari. C’est que ses lettres étaient adressées en réalité à tous les habitants d’Hauteville-House.

À la même date, Lacroix annonçait

  1. Quelques pages d’histoire, Éponine, la Maison de la rue Plumet.
  2. Les Beaux messieurs de Bois-Doré.