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Page:Hugo - Œuvres complètes, Impr. nat., Roman, tome VI.djvu/193

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MADEMOISELLE GILLENORMAND…

in-octavo, enveloppé dans du papier. Le papier de l’enveloppe était verdâtre et semblait moisi.

— Est-ce que ce monsieur a toujours comme cela des livres sous le bras ? demanda à voix basse à Nicolette mademoiselle Gillenormand qui n’aimait point les livres.

— Eh bien, répondit du même ton M. Gillenormand qui l’avait entendue, c’est un savant. Après ? Est-ce sa faute ? Monsieur Boulard, que j’ai connu, ne marchait jamais sans un livre, lui non plus, et avait toujours comme cela un bouquin contre son cœur.

Et, saluant, il dit à haute voix :

— Monsieur Tranchelevent…

Le père Gillenormand ne le fit pas exprès, mais l’inattention aux noms propres était chez lui une manière aristocratique.

— Monsieur Tranchelevent, j’ai l’honneur de vous demander pour mon petit-fils, monsieur le baron Marius Pontmercy, la main de mademoiselle. « Monsieur Tranchelevent » s’inclina.

— C’est dit, fit l’aïeul.

Et, se tournant vers Marius et Cosette, les deux bras étendus et bénissant, il cria :

— Permission de vous adorer.

Ils ne se le firent pas dire deux fois. Tant pis ! le gazouillement commença. Ils se parlaient bas, Marius accoudé sur sa chaise longue, Cosette debout près de lui. — Ô mon Dieu ! murmurait Cosette, je vous revois. C’est toi ! c’est vous ! Être allé se battre comme cela ! Mais pourquoi ? C’est horrible. Pendant quatre mois, j’ai été morte. Oh ! que c’est méchant d’avoir été à cette bataille ! Qu’est-ce que je vous avais fait ? Je vous pardonne, mais vous ne le ferez plus. Tout à l’heure, quand on est venu nous dire de venir, j’ai encore cru que j’allais mourir, mais c’était de joie. J’étais si triste ! Je n’ai pas pris le temps de m’habiller, je dois faire peur. Qu’est-ce que vos parents diront de me voir une collerette toute chiffonnée ? Mais parlez donc ! Vous me laissez parler toute seule. Nous sommes toujours rue de l’Homme-Armé. Il paraît que votre épaule, c’était terrible. On m’a dit qu’on pouvait mettre le poing dedans. Et puis il paraît qu’on a coupé les chairs avec des ciseaux. C’est ça qui est affreux. J’ai pleuré, je n’ai plus d’yeux. C’est drôle qu’on puisse souffrir comme cela. Votre grand-père a l’air très bon ! Ne vous dérangez pas, ne vous mettez pas sur le coude, prenez garde, vous allez vous faire du mal. Oh ! comme je suis heureuse ! C’est donc fini, le malheur ! Je suis toute sotte. Je voulais vous dire des choses que je ne sais plus du tout. M’aimez-vous toujours ? Nous demeurons rue de l’Homme-Armé. Il n’y a pas de jardin. J’ai fait de la charpie tout le temps ; tenez, monsieur, re-