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Page:Hugo - Œuvres complètes, Impr. nat., Roman, tome VI.djvu/257

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LES OBSCURITÉS QUE PEUT CONTENIR…

un son de la trompette du jugement, et, après avoir considéré longtemps Jean Valjean, son dernier geste était de détourner la tête. Vade retro.

Marius, il faut le reconnaître et même y insister, tout en interrogeant Jean Valjean au point que Jean Valjean lui avait dit : vous me confessez, ne lui avait pourtant pas fait deux ou trois questions décisives. Ce n’était pas qu’elles ne se fussent présentées à son esprit, mais il en avait eu peur. Le galetas Jondrette ? La barricade ? Javert ? Qui sait où se fussent arrêtées les révélations ? Jean Valjean ne semblait pas homme à reculer, et qui sait si Marius, après l’avoir poussé, n’aurait pas souhaité le retenir ? Dans de certaines conjonctures suprêmes, ne nous est-il pas arrivé à tous, après avoir fait une question, de nous boucher les oreilles pour ne pas entendre la réponse ? C’est surtout quand on aime qu’on a de ces lâchetés-là. Il n’est pas sage de questionner à outrance les situations sinistres, surtout quand le côté indissoluble de notre propre vie y est fatalement mêlé. Des explications désespérées de Jean Valjean, quelque épouvantable lumière pouvait sortir, et qui sait si cette clarté hideuse n’aurait pas rejailli jusqu’à Cosette ? Qui sait s’il n’en fût pas resté une sorte de lueur infernale sur le front de cet ange ? L’éclaboussure d’un éclair, c’est encore de la foudre. La fatalité a de ces solidarités-là, où l’innocence elle-même s’empreint de crime par la sombre loi des reflets colorants. Les plus pures figures peuvent garder à jamais la réverbération d’un voisinage horrible. À tort ou à raison, Marius avait eu peur. Il en savait déjà trop. Il cherchait plutôt à s’étourdir qu’à s’éclairer. Éperdu, il emportait Cosette dans ses bras en fermant les yeux sur Jean Valjean.

Cet homme était de la nuit, de la nuit vivante et terrible. Comment oser en chercher le fond ? C’est une épouvante de questionner l’ombre. Qui sait ce qu’elle va répondre ? L’aube pourrait en être noircie pour jamais.

Dans cette situation d’esprit, c’était pour Marius une perplexité poignante de penser que cet homme aurait désormais un contact quelconque avec Cosette. Ces questions redoutables, devant lesquelles il avait reculé, et d’où aurait pu sortir une décision implacable et définitive, il se reprochait presque à présent de ne pas les avoir faites. Il se trouvait trop bon, trop doux, disons le mot, trop faible. Cette faiblesse l’avait entraîné à une concession imprudente. Il s’était laissé toucher. Il avait eu tort. Il aurait dû purement et simplement rejeter Jean Valjean. Jean Valjean était la part du feu, il aurait dû la faire, et débarrasser sa maison de cet homme. Il s’en voulait, il en voulait à la brusquerie de ce tourbillon d’émotions qui l’avait assourdi, aveuglé, et entraîné. Il était mécontent de lui-même.

Que faire maintenant ? Les visites de Jean Valjean lui répugnaient profondément. À quoi bon cet homme chez lui ? que faire ? Ici il s’étourdissait.