Aller au contenu

Page:Hugo - Œuvres complètes, Impr. nat., Roman, tome VI.djvu/66

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
52
LES MISÉRABLES. — JEAN VALJEAN.

XV

gavroche dehors.


Courfeyrac tout à coup aperçut quelqu’un au bas de la barricade, dehors, dans la rue, sous les balles.

Gavroche, avait pris un panier à bouteilles dans le cabaret, était sorti par la coupure, et était paisiblement occupé à vider dans son panier les gibernes pleines de cartouches des gardes nationaux tués sur le talus de la redoute.

— Qu’est-ce que tu fais là ? dit Courfeyrac.

Gavroche leva le nez :

— Citoyen, j’emplis mon panier.

— Tu ne vois donc pas la mitraille ?

Gavroche répondit :

— Eh bien, il pleut. Après ?

Courfeyrac cria :

— Rentre !

— Tout à l’heure, fit Gavroche.

Et, d’un bond, il s’enfonça dans la rue.

On se souvient que la compagnie Fannicot, en se retirant, avait laissé derrière elle une traînée de cadavres.

Une vingtaine de morts gisaient ça et là dans toute la longueur de la rue sur le pavé. Une vingtaine de gibernes pour Gavroche. Une provision de cartouches pour la barricade.

La fumée était dans la rue comme un brouillard. Quiconque a vu un nuage tombé dans une gorge de montagnes entre deux escarpements à pic, peut se figurer cette fumée resserrée et comme épaissie par deux sombres lignes de hautes maisons. Elle montait lentement et se renouvelait sans cesse ; de là un obscurcissement graduel qui blêmissait même le plein jour. C’est à peine si, d’un bout à l’autre de la rue, pourtant fort courte, les combattants s’apercevaient.

Cet obscurcissement, probablement voulu et calculé par les chefs qui devaient diriger l’assaut de la barricade, fut utile à Gavroche.

Sous les plis de ce voile de fumée, et grâce à sa petitesse, il put s’avancer assez loin dans la rue sans être vu. Il dévalisa les sept ou huit premières gibernes sans grand danger.

Il rampait à plat ventre, galopait à quatre pattes, prenait son panier aux