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Page:Hugo - Œuvres complètes, Impr. nat., Roman, tome VIII.djvu/166

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L'HOMME QUI RIT

tomba sur la petite fille. Il remit le pot sur le poêle, prit la fiole, la déboucha, y vida ce qui restait de lait, juste assez pour l’emplir, replaça l’éponge, et reficela le linge sur l’éponge autour du goulot.

— J’ai tout de même faim et soif, reprit-il.

Et il ajouta :

— Quand on ne peut pas manger du pain, on boit de l’eau.

On entrevoyait derrière le poêle une cruche égueulée.

Il la prit et la présenta au garçon :

— Veux-tu boire ?

L’enfant but, et se remit à manger.

Ursus ressaisit la cruche et la porta à sa bouche. La température de l’eau qu’elle contenait avait été inégalement modifiée par le voisinage du poêle.

Il avala quelques gorgées, et fit une grimace.

— Eau prétendue pure, tu ressembles aux faux amis. Tu es tiède en dessus et froide en dessous.

Cependant le garçon avait fini de souper. L’écuelle était mieux que vidée, elle était nettoyée. Il ramassait et mangeait, pensif, quelques miettes de pain éparses dans les plis du tricot, sur ses genoux.

Ursus se tourna vers lui.

— Ce n’est pas tout ça. Maintenant, à nous deux. La bouche n’est pas faite que pour manger, elle est faite pour parler. À présent que tu es réchauffé et gavé, animal, prends garde à toi, tu vas répondre à mes questions. D’où viens-tu ?

L’enfant répondit :

— Je ne sais pas.
— Comment, tu ne sais pas ?
— J’ai été abandonné ce soir au bord de la mer.
— Ah ! le chenapan ! Comment t’appelles-tu ? Il est si mauvais sujet qu’il en vient à être abandonné par ses parents.
— Je n’ai pas de parents.
— Rends-toi un peu compte de mes goûts, et fais attention que je n’aime point qu’on me chante des chansons qui sont des contes. Tu as des parents, puisque tu as ta sœur.
— Ce n’est pas ma sœur.
— Ce n’est pas ta sœur ?
— Non.
— Qu’est-ce que t’est alors ?
— C’est une petite que j’ai trouvée.
— Trouvée !
— Oui.