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Page:Hugo - Œuvres complètes, Impr. nat., Roman, tome VIII.djvu/259

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VI

ursus instituteur, et ursus tuteur

Ursus ajoutait :

— Je leur ferai un de ces jours un mauvais tour. Je les marierai.

Ursus faisait à Gwynplaine la théorie de l’amour. Il lui disait :

— L’amour, sais-tu comment le bon Dieu allume ce feu-là ? Il met la femme en bas, le diable entre deux, l’homme sur le diable. Une allumette, c’est-à-dire un regard, et voilà que tout flambe.

— Un regard n’est pas nécessaire, répondait Gwynplaine, songeant à Dea.

Et Ursus répliquait :

— Dadais ! est-ce que les âmes, pour se regarder, ont besoin des yeux ?

Parfois Ursus était bon diable. Gwynplaine, par moments, éperdu de Dea jusqu’à en devenir sombre, se garait d’Ursus comme d’un témoin. Un jour Ursus lui dit :

— Bah ! ne te gêne pas. En amour le coq se montre.
— Mais l’aigle se cache, répondit Gwynplaine.

Dans d’autres instants, Ursus se disait en aparté :

— Il est sage de mettre des bâtons dans les roues du char de Cythérée. Ils s’aiment trop. Cela peut avoir des inconvénients. Obvions à l’incendie. Modérons ces cœurs.

Et Ursus avait recours à des avertissements de ce genre, parlant à Gwynplaine quand Dea dormait, et à Dea quand Gwvnplaine avait le dos tourné :

— Dea, il ne faut pas trop t’attacher à Gwynplaine. Vivre dans un autre est périlleux. L’égoïsme est une bonne racine du bonheur. Les hommes, ça échappe aux femmes. Et puis, Gwynplaine peut finir par s’infatuer. Il a tant de succès ! tu ne te figures pas le succès qu’il a !
— Gwynplaine, les disproportions ne valent rien. Trop de laideur d’un côté, trop de beauté de l’autre, cela doit donner à réfléchir. Tempère ton ardeur, mon boy. Ne t’enthousiasme pas trop de Dea. Te crois-tu sérieusement fait pour elle ? Mais considère donc ta difformité et sa perfection. Vois la distance entre elle et toi. Elle a tout, cette Dea ! quelle peau blanche, quels cheveux, des lèvres qui sont des fraises, et son pied ! quant à sa main ! Ses épaules sont d’une courbe exquise, le visage est sublime, elle marche, il sort d’elle de la lumière, et ce parler grave avec ce son de voix charmant ! et avec tout cela songer que c’est une femme ! elle n’est pas si sotte que d’être un ange. C’est la beauté absolue. Dis-toi tout cela pour te calmer.