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Page:Hugo - Œuvres complètes, Impr. nat., Roman, tome VIII.djvu/310

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L'HOMME QUI RIT

— Et vous avez tort, dit le juge sévèrement.

Rhadamante rentra dans l’histoire.

— À propos des accidents arrivés à la cavalerie de Mithridate, vous avez contesté les vertus des herbes et des plantes. Vous avez nié qu’une herbe, comme la securiduca, pût faire tomber les fers des chevaux.
— Pardon, répondit Ursus. J’ai dit que cela n’était possible qu’à l’herbe sferra-cavallo. Je ne nie la vertu d’aucune herbe.

Et il ajouta à demi-voix ;

— Ni d’aucune femme.

Par ce hors-d’œuvre ajouté à sa réponse, Ursus se prouvait à lui-même que, si inquiet qu’il fût, il n’était pas désarçonné. Ursus était composé de terreur et de présence d’esprit.

— J’insiste, reprit Rhadamante. Vous avez déclaré que ce fut une simplicité à Scipion, quand il voulut ouvrir les portes de Carthage, de prendre pour clef l’herbe Æthiopis, parce que l’herbe Æthiopis n’a pas la propriété de rompre les serrures.
— J’ai simplement dit qu’il eût mieux fait de se servir de l’herbe Lunaria.
— C’est une opinion, murmura Rhadamante touché à son tour.

Et l’homme de l’histoire se tut.

L’homme de la théologie, Minos, revenu à lui, questionna de nouveau Ursus. Il avait eu le temps de consulter le cahier de notes.

— Vous avez classé l’orpiment parmi les produits arsenicaux, et vous avez dit qu’on pouvait empoisonner avec de l’orpiment. La bible le nie.
— La bible le nie, soupira Ursus, mais l’arsenic l’affirme.

Le personnage en qui Ursus voyait Éaque, qui était le préposé à la médecine et qui n’avait pas encore parlé, intervint, et, les yeux superbement termes à demi, appuya Ursus de très haut. Il dit :

— La réponse n’est pas inepte.

Ursus remercia de son sourire le plus avili.

Minos fit une moue affreuse.

— Je continue, reprit Minos. Répondez. Vous avez dit qu’il était faux que le basilic soit roi des serpents sous le nom de Cocatrix.
— Très révérend, dit Ursus, j’ai si peu voulu nuire au basilic que j’ai dit qu’il était certain qu’il avait une tête d’homme.
— Soit, répliqua sévèrement Minos, mais vous avez ajouté que Pocrius en avait vu un qui avait une tête de faucon. Pourriez-vous le prouver ?
— Difficilement, dit Ursus.

Ici il perdit un peu de terrain.

Minos, ressaisissant l’avantage, poussa.