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Page:Hugo - Œuvres complètes, Impr. nat., Roman, tome VIII.djvu/358

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L'HOMME QUI RIT

VIII

gémissement

On se mit en marche.

On avança dans le couloir.

Aucun greffe préalable. Aucun bureau avec registres. Les prisons de ce temps-là n’étaient point paperassières. Elles se contentaient de se fermer sur vous, souvent sans savoir pourquoi. Être une prison, et avoir des prisonniers, cela leur suffisait.

Le cortège avait dû s’allonger et prendre la forme du corridor. On marchait presque un à un ; d’abord le wapentake, ensuite Gwynplaine, ensuite le justicier-quorum ; puis les gens de police, avançant en bloc et bouchant le corridor derrière Gwynplaine comme un tampon. Le couloir se resserrait ; maintenant Gwynplaine touchait le mur de ses deux coudes ; la voûte en caillou noyé de ciment avait d’intervalle en intervalle des voussures de granit en saillie faisant étranglement ; il fallait baisser le front pour passer ; pas de course possible dans ce corridor ; la fuite eût été forcée de marcher lentement ; ce boyau faisait des détours ; toutes les entrailles sont tortueuses, celles d’une prison comme celles d’un homme ; çà et là, tantôt adroite, tantôt à gauche, des coupures dans le mur, carrées et closes de grosses grilles, laissaient apercevoir des escaliers, ceux-ci montant, ceux-là plongeant. On arriva à une porte fermée, elle s’ouvrit, on passa, elle se referma. Puis on rencontra une deuxième porte, qui livra passage, puis une troisième, qui tourna de même sur ses gonds. Ces portes s’ouvraient et se refermaient comme toutes seules. On ne voyait personne. En même temps que le couloir se rétrécissait. La voûte s’abaissait, et l’on en était venu à ne plus pouvoir marcher que la tête courbée. Le mur suintait ; il tombait de la voûte des gouttes d’eau ; le dallage qui pavait le corridor avait la viscosité d’un intestin. L’espèce de pâleur diffuse qui tenait lieu de clarté devenait de plus en plus opaque ; l’air manquait. Ce qu’il y avait de singulièrement lugubre, c’est que cela descendait.

Il fallait y faire attention pour s’apercevoir qu’on descendait. Dans les ténèbres, une pente douce, c’est sinistre. Rien n’est redoutable comme les choses obscures auxquelles on arrive par des pentes insensibles.

Descendre, c’est l’entrée dans l’ignoré terrible.

Combien de temps marcha-t-on ainsi ? Gwynplaine n’eût pu le dire.

Passées à ce laminoir, l’angoisse, les minutes s’allongent démesurément.

Subitement on fit halte.

L’obscurité était épaisse.