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Page:Hugo - Œuvres complètes, Impr. nat., Roman, tome VIII.djvu/446

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L’HOMME QUI RIT

pour fuir. D’ailleurs il n’en avait pas la force. Il eût voulu que le pavé se fendît, et tomber sous terre. Aucun moyen de ne pas être vu.

Elle le vit.

Elle le regarda, prodigieusement étonnée, mais sans aucun tressaillement, avec une nuance de bonheur et de mépris :

— Tiens, dit-elle, Gwynplaine !

Puis, subitement, d’un bond violent, car cette chatte était une panthère, elle se jeta à son cou.

Elle lui pressa la tête entre ses bras nus dont les manches, dans cet emportement, s’étaient relevées.

Et tout à coup le repoussant, abattant sur les deux épaules de Gwynplaine ses petites mains comme des serres, elle debout devant lui, lui debout devant elle, elle se mit à le regarder étrangement.

Elle regarda, fatale, avec ses yeux d’Aldébaran, rayon visuel mixte, avant on ne sait quoi de louche et de sidéral. Gwynplaine contemplait cette prunelle bleue et cette prunelle noire, éperdu sous la double fixité de ce regard de ciel et de ce regard d’enfer. Cette femme et cet homme se renvoyaient l’éblouissement sinistre, ils se fascinaient l’un l’autre, lui par la difformité, elle par la beauté, tous deux par l’horreur.

Il se taisait, comme sous un poids impossible à soulever. Elle s’écria :

— Tu as de l’esprit. Tu es venu. Tu as su que j’avais été forcée de partir de Londres. Tu m’as suivie. Tu as bien fait. Tu es extraordinaire d’être ici.

Une prise de possession réciproque, cela jette une sorte d’éclair. Gwynplaine, confusément averti par une vague crainte sauvage et honnête, recula, mais les ongles roses crispés sur son épaule le tenaient. Quelque chose d’inexorable s’ébauchait, il était dans l’antre de la femme fauve, homme fauve lui-même.

Elle reprit :

— Anne, cette sotte, — tu sais ? la reine, — elle m’a fait venir à Windsor sans savoir pourquoi. Quand je suis arrivée, elle était enfermée avec son idiot de chancelier. Mais comment as-tu fait pour pénétrer jusqu’à moi ? Voilà ce que j’appelle être un homme. Des obstacles. Il n’y en a pas. On est appelé, on accourt. Tu t’es renseigné ? Mon nom, la duchesse Josiane, je pense que tu le savais. Qui est-ce qui t’a introduit ? C’est le mousse sans doute. Il est intelligent. Je lui donnerai cent guinées. Comment t’y es-tu pris ? dis-moi cela. Non, ne me le dis pas. Je ne veux pas le savoir. Expliquer rapetisse. Je t’aime mieux surprenant. Tu es assez monstrueux pour être merveilleux. Tu tombes de l’empyrée, voilà, ou tu montes du troisième dessous, à travers la trappe de l’Érèbe. Rien de plus simple, le plafond s’est écarté ou le plancher s’est ouvert. Une descente par les nuées