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Page:Hugo - Œuvres complètes, Impr. nat., Roman, tome VIII.djvu/529

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RÉSIDU.

bowling-green désert. Gwynplaine avait perdu. Il n’avait plus qu’à payer. Paie, misérable !

Les foudroyés s’agitent peu. Gwynplaine était immobile, qui l’eût aperçu de loin dans cette ombre, droit et sans mouvement, au bord du parapet, eût cru voir une pierre debout.

L’enfer, le serpent et la rêverie s’enroulent sur eux-mêmes. Gwynplaine descendait les spirales sépulcrales de l’approfondissement pensif. Ce monde qu’il venait d’entrevoir, il le considérait, avec ce regard froid qui est le regard définitif. Le mariage, mais pas d’amour ; la famille, mais pas de fraternité ; la richesse, mais pas de conscience ; la beauté, mais pas de pudeur ; la justice, mais pas d’équité ; l’ordre, mais pas d’équilibre ; la puissance, mais pas d’intelligence ; l’autorité, mais pas de droit ; la splendeur, mais pas de lumière. Bilan inexorable. Il fit le tour de cette vision suprême où s’était enfoncée sa pensée. Il examina successivement la destinée, la situation, la société, et lui-même. Qu’était la destinée ? un piège. La situation ? un désespoir. La société ? une haine. Et lui-même ? un vaincu. Et au fond de son âme, il s’écria : La société est la marâtre. La nature est la mère. La société, c’est le monde du corps ; la nature, c’est le monde de l’âme. L’une aboutit au cercueil, à la boîte de sapin dans la fosse, aux vers de terre, et finit là. L’autre aboutit aux ailes ouvertes, à la transfiguration dans l’aurore, à l’ascension dans les firmaments, et recommence là.

Peu à peu le paroxysme s’emparait de lui. Tourbillonnement funeste. Les choses qui finissent ont un dernier éclair où l’on revoit tout.

Qui juge, confronte. Gwynplaine mit en regard ce que la société lui avait fait et ce que lui avait fait la nature. Comme la nature avait été bonne pour lui ! comme elle l’avait secouru, elle qui est l’âme ! Tout lui avait été pris, tout, jusqu’au visage ; l’âme lui avait tout rendu. Tout, même le visage ; car il y avait ici-bas une céleste aveugle, faite exprès pour lui, qui ne voyait pas sa laideur et qui voyait sa beauté.

Et c’est de cela qu’il s’était laissé séparer ! c’est de cet être adorable, c’est de ce cœur, c’est de cette adoption, c’est de cette tendresse, c’est de ce divin regard aveugle, le seul qui le vît sur la terre, qu’il s’était éloigné ! Dea, c’était sa sœur ; car il sentait d’elle à lui la grande fraternité de l’azur, ce mystère qui contient tout le ciel. Dea, quand il était petit, c’était sa vierge ; car tout enfant a une vierge, et la vie a toujours pour commencement un mariage d’âmes consommé, en pleine innocence, par deux petites virginités ignorantes. Dea, c’était son épouse, car ils avaient le même nid sur la plus haute branche du profond arbre Hymen. Dea, c’était plus encore, c’était sa clarté ; sans elle tout était le néant et le vide, et il lui voyait une chevelure de rayons. Que devenir sans Dea ? que faire de tout ce qui était lui ? Rien de lui ne