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Page:Hugo - Œuvres complètes, Impr. nat., Roman, tome VIII.djvu/547

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LE PARADIS RETROUVÉ ICI BAS

— Ma vie !
— Mon ciel !
— Mon amour !
— Tout mon bonheur !
— Gwynplaine !
— Dea ! je suis ivre. Laisse-moi baiser tes pieds.
— C’est toi donc !
— En ce moment-ci, j’ai trop à dire à la fois. Je ne sais par où commencer.
— Un baiser !
— Ô ma femme !
— Gwynplaine, ne me dis pas que je suis belle. C’est toi qui es beau.
— Je te retrouve, je t’ai sur mon cœur. Cela est. Tu es à moi. Je ne rêve pas. C’est bien toi. Est-ce possible ? oui. Je reprends possession de la vie. Si tu savais, il y a eu toutes sortes d’événements. Dea !
— Gwynplaine !
— Je t’aime !

Et Ursus murmurait :

— J’ai une joie de grand-père.

Homo était sorti de dessous la cahute, et, allant de l’un à l’autre, discrètement, n’exigeant pas qu’on fît attention à lui, il donnait des coups de langue à tort et à travers, tantôt aux gros souliers d’Ursus, tantôt au capingot de Gwynplaine, tantôt à la robe de Dea, tantôt au matelas. C’était sa façon à lui de bénir.

On avait dépassé Chatham et l’embouchure de la Medway. On approchait de la mer. La sérénité ténébreuse de l’étendue était telle que la descente de la Tamise se faisait sans complications aucune manœuvre n’était nécessaire, et aucun matelot n’avait été appelé sur le pont. À l’autre extrémité du navire, le patron, toujours seul à la barre, gouvernait. À l’arrière, il n’y avait que cet homme ; à l’avant, la lanterne éclairait l’heureux groupe de ces êtres qui venaient de faire, au fond du malheur subitement changé en félicité, cette jonction inespérée.