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Page:Hugo - Œuvres complètes, Impr. nat., Roman, tome VIII.djvu/558

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RELIQUAT DE L’HOMME QUI RIT

cations antérieures ; mais il n’est pas seulement un philosophe, il a voulu faire un drame et placer ce drame dans un milieu historique : il a donc été philosophe, écrivain dramatique et historien, historien impartial qui dénonce les tares de la royauté ; et en instruisant le procès contre le passé, en choisissant dans ce passé l’un de ses plus grands crimes, le droit royal de mutilation, il a voulu justifier l’avènement de la démocratie.

On retrouvera dans ces essais le désir d’établir ces divers caractères de son livre au point de vue philosophique, historique et social.

Mais après avoir accumulé les notes et les avoir amalgamées, il s’aperçoit que sa préface sera une longue introduction. Il risque d’empiéter sur les livres projetés. Il préférera renoncer aux considérations trop étendues, et se bornera à indiquer en quelques lignes le plan d’une trilogie dont l’Homme qui Rit sera le premier chapitre.

Il semble que Victor Hugo avait tout d’abord songé à remplacer la préface par une simple dédicace au lecteur.

dédicace.
Il n’y a de lecteur que le lecteur pensif.
C’est à lui que je dédie mes œuvres.

Qui que tu sois, si tu es pensif en lisant, c’est à toi que je dédie mes œuvres.


Il y a deux sortes de drame : le drame qu’on peut jouer, et le drame qu’on ne peut pas jouer. Ce dernier participe de l’épopée. Aux personnages humains il mêle, comme la nature elle-même, d’autres personnages, les forces, les cléments, l’infini, l’inconnu.

Celui qui écrit ces lignes a fait de ces deux sortes de drame. Les drames du premier genre sont : Hernani, Ruy Blas, les Burgraves, etc. Les drames du second genre sont : le Dernier jour d’un condamné, Claude Gueux, N.-D. de P., les Misérbles, les Travailleurs de la mer, et ce livre, l’Homme qui Rit. On a interdit le théâtre aux premiers. On ne peut l’interdire aux seconds.

À ce drame-là, on ne ferme point le théâtre. Il échappe aux censures et aux polices[1].

Étant plus grand, il est plus libre.

Il peut affirmer l’âme humaine plus puissamment encore que le drame circonscrit dans la lutte brève des hommes. À la lutte des hommes, il ajoute la lutte des choses.


Le but de l’art, c’est l’affirmation de l’âme humaine.

La science peut être matérialiste, c’est son affaire. L’art ne le sera jamais.

À chacun sa sphère. À la science, la substance ; à l’art, l’essence.

Eße. Toute l’âme est là.

L’âme est. Le reste existe.

  1. Allusion à l’interdiction de Ruy Blas.