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Page:Hugo - Œuvres complètes, Impr. nat., Roman, tome VIII.djvu/561

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ÉBAUCHES DE PRÉFACE

Avons-nous dans nos siècles moderncs, au double point de vue de l’histoire et de l’art, l’équivalent de l’antique foudroyé ? Peut-on ajouter l’enregistrement d’une grande misère de plus à ce lugubre dossier du passé, dont la démocratie instruit si utilement aujourd’hui le procès ?

Par exemple, du vieux « droit royal de mutilation », de ce crime, le plus odieux de tous ceux que la royauté a commis sur l’homme, qui s’est accompli partout en Europe sur une si large échelle, avant la révolution française, tantôt publiquement, par les vindictes légales et pénales, tantôt d’une façon inavouée et occulte, pour les besoins de la politique et la satisfaction des maîtres, de cet attentat qualifié droit, a-t-il pu sortir quelque chose comme un Prométhée ou un Job, se dressant à un moment donné, et jetant, non plus au dieu, mais au roi, sa protestation tragique ? L’auteur l’a pensé. De là ce livre, qui est, comme tous ses autres romans, un essai de drame hors des proportions ordinaires.


II

NOTES POUR L’HOMME QUI RIT.

Il y a deux sortes de notes : les unes sont documentaires (indications historiques, description de Londres, particularités sur les mœurs anglaises, études sur la Chambre des lords). Elles ont été utilisées et développées dans le roman, nous n’en parlerons pas.

Les autres, au contraire, contiennent des variantes de situations et de caractères ; elles sont intéressantes parce qu’elles nous révèlent une orientation particulière du roman, une conception première différente de celle que Victor Hugo a définitivement choisie, notamment pour le caractère de Josiane.

Dans le livre, Josiane apparaît comme une créature à la fois pure et perverse, sans amant mais aussi sans chasteté, avec toute la vertu possible et sans aucune innocence, n’aimant de l’homme que l’exception : dieu ou monstre, à la recherche de sensations maladives. Elle est attirée vers Gwynplaine, non parce qu’il est laid, mais parce qu’il est difforme. La difformité n’est pas la laideur : elle est grande par elle-même ; plus la difformité sera compliquée, étrange ou inattendue, plus elle séduira Josiane.

Or, dans un premier projet, Josiane était franchement et exclusivement une courtisane. Sans doute lord Cyrus, son amant, répondait bien à son goût pour les créatures d’exception, puisqu’il était beau comme Apollon ; mais elle n’était plus chaste, la fin de son entretien avec lord Cyrus ne nous laisse aucun doute à ce sujet ; si elle envisageait l’idée de se marier à un monstre comme Gwynplaine, c’était simplement sur le conseil de son amant et pour conserver une fortune.

Josiane n’était donc pas cette belle fille, ce monstre de pureté et d’impudeur, le pendant moral et immoral du monstre Gwynplaine ; c’était Vénus épousant Vulcain par intérêt.

Cette conception première du caractère de Josiane modifiée complètement dans le roman n’est pas une des moindres curiosités de ce reliquat.

Quelques réflexions d’Ursus et quelques indications sur son caractère :

Il avait en lui une colère contre les choses qu’il prenait pour de la haine contre