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Page:Hugo - Œuvres complètes, Impr. nat., Roman, tome VIII.djvu/609

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HISTORIQUE DE L’HOMME QUI RIT

sont plus critiques ou plus combattus. C’est le sort des belles et grandes choses. L’Homme qui Rit ne devait pas échapper à cette destinée.

Toujours est-il que Victor Hugo qui avait voulu écrire cette trilogie : l’aristocratie, la monarchie, la démocratie, abandonna son projet de volume sur la Monarchie, sans doute pour la raison qu’il donnait lui-même. Il ne voulait pas, pour l’instant, abuser du roman ; peut-être aussi les événements n’avaient-ils pas été étrangers à sa résolution ? L’empire s’effondrait l’année suivante, la République était proclamée. Son esprit s’orientait d’un autre côté à cette heure douloureuse.

Ce procès que Victor Hugo avait voulu faire au passé et qu’il méditait de poursuivre avait eu un dénouement tragique. Le mal du passé était dépassé par le mal du présent.

Le poète appartenait désormais tout entier à la patrie meurtrie, et en poussant, dans l’Année terrible, ces admirables cris de révolte contre la barbarie, il servait encore la cause du droit, de la justice et du progrès.


II

Revue de la critique

Le roman reçut du public français un accueil réservé. À l’étranger au contraire il obtenait le plus vif succès.

Les fâcheuses combinaisons commerciales dont nous avons parlé, une sorte de confiscation temporaire du livre, l’absence de toute publicité devaient nécessairement entraver la vente et produire une impression défavorable sur l’opinion. Le livre avait été mal présenté ; les épreuves n’avaient pas été communiquées aux journaux avant la publication, contrairement à tous les usages. Comment l’œuvre aurait-elle pu être jugée ? Victor Hugo considérait qu’elle n’était même pas publiée. La presse qui aurait eu des motifs de rancune fut cependant, en général, très favorable à l’Homme qui Rit.

Cette peinture vivante de personnages surhumains, leurs aventures dramatiques mêlées aux tragédies de la nature, cette résurrection du grand parlement aristocratique d’Angleterre, ces cris de révolte contre l’égoïsme des grands, des puissants et des heureux enfermés dans leur oubli des autres ; ces appels ardents à la pitié en faveur des pauvres, des petits et des souffrants, victimes des lois de fer, excitèrent l’admiration de la plupart des écrivains.

Il y eut des attaques. Quel est le livre de Victor Hugo qui fut épargné par ses adversaires habituels ? Les articles hostiles, peu nombreux, dénotaient la pauvreté des griefs et l’impuissance à rajeunir les procédés ordinaires de polémique. La critique la plus coutumière et d’ailleurs la plus vulgaire consistait à glorifier l’œuvre précédente au détriment de celle qui venait de paraître. Les adversaires découvraient la grandeur des Travailleurs de la mer seulement en lisant l’Homme qui Rit, comme ils n’avaient reconnu toute la beauté des Misérables qu’à l’apparition des Travailleurs de la mer. Notre-Dame de Paris passait chef-d’œuvre au moment de la publication des Misérables. Ainsi l’œuvre du passé, d’abord attaquée par un petit groupe, était louée par ce même petit groupe, sans souci des contradictions et dans le but de tenter d’amoindrir l’œuvre nouvelle. Ce procédé fut largement appliqué lorsque parut l’Homme qui Rit.