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Page:Hugo - Œuvres complètes, Impr. nat., Roman, tome VIII.djvu/69

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L'ARBRE D'INVENTION HUMAINE.

À l’extrémité supérieure de ce bras, une sorte d’index, soutenu en dessous par le pouce, s’allongeait horizontalement. Ce bras, ce pouce et cet index dessinaient sur le ciel une équerre. Au point de jonction de cette espèce d’index et de cette espèce de pouce il y avait un fil auquel pendait on ne sait quoi de noir et d’informe. Ce fil, remué par le vent, faisait le bruit d’une chaîne.

C’était ce bruit que l’enfant avait entendu.

Le fil était, vu de près, ce que son bruit annonçait, une chaîne. Chaîne marine aux anneaux à demi pleins.

Par cette mystérieuse loi d’amalgame qui dans la nature entière superpose les apparences aux réalités, le lieu, l’heure, la brume, la mer tragique, les lointains tumultes visionnaires de l’horizon, s’ajoutaient à cette silhouette, et la faisaient énorme.

La masse liée à la chaîne offrait la ressemblance d’une gaine. Elle était emmaillotée comme un enfant et longue comme un homme. Il y avait en haut une rondeur autour de laquelle l’extrémité de la chaîne s’enroulait. La gaine se déchiquetait à sa partie intérieure. Des décharnements sortaient par ces déchirures.

Une brise faible agitait la chaîne, et ce qui pendait à la chaîne vacillait doucement. Cette masse passive obéissait aux mouvements diffus des étendues; elle avait on ne sait quoi de panique ; l’horreur qui disproportionne les objets lui ôtait presque la dimension en lui laissant le contour ; c’était une condensation de noirceur ayant un aspect ; il y avait de la nuit dessus et de la nuit dedans ; cela était en proie au grandissement sépulcral ; les crépuscules, les levers de lune, les descentes de constellations derrière les falaises, les flottaisons de l’espace, les nuages, toute la rose des vents, avaient fini par entrer dans la composition de ce néant visible ; cette espèce de bloc quelconque suspendu dans le vent participait de l’impersonnalité éparse au loin sur la mer et dans le ciel, et les ténèbres achevaient cette chose qui avait été un homme.

C’était ce qui n’est plus.

Être un reste, ceci échappe à la langue humaine. Ne plus exister et persister, être dans le gouffre et dehors, reparaître au-dessus de la mort, comme insubmersible, il y a une certaine quantité d’impossible mêlée à de telles réalités. De là l’indicible. Cet être, — était-ce un être ? — ce témoin noir, était un reste, et un reste terrible. Reste de quoi ? De la nature d’abord, de la société ensuite. Zéro et total.

L’inclémence absolue l’avait à sa discrétion. Les profonds oublis de la solitude l’environnaient. Il était livré aux aventures de l’ignoré. Il était sans défense contre l’obscurité, qui en faisait ce qu’elle voulait. Il était à jamais le