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Page:Hugo - Œuvres complètes, Impr. nat., Théâtre, tome I.djvu/291

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MANASSÉ, sans quitter le ciel des yeux.
Votre étoile.
Se retournant vers Cromwell avec solennité.
Votre avenir pour moi peut déchirer son voile.
CROMWELL, tressaillant.
Vraiment ? il se pourrait ?... — Mais non, tu mens, vieillard !

Crains-tu pas d’essayer la pointe d’un poignard ?

MANASSÉ, gravement.
Si je mens, que la mort, dont les coups nous confondent,

Ferme ces yeux à qui les étoiles répondent !

CROMWELL, pensif, à part.
Se pourrait-il ? — Lever le rideau du destin ;

Lire au loin dans le ciel un avenir lointain ;
Déchiffrer chaque vie et chaque caractère ;
Voir la clef de l’énigme et le mot du mystère.
Ce mot qu’un doigt suprême, invisible à nos yeux,
Trace avec des soleils sur le livre des cieux !
Quel pouvoir ! c’est de Dieu partager la couronne. —
Moi, qui me contentais de je ne sais quel trône !
Fier de briller au faîte où quelques rois ont lui,
Je méprisais ce juif — Que suis-je près de lui ?
Qu’est-ce que ma puissance auprès de son empire ?
Près du but qu’il atteint qu’est le but où j’aspire ?
Son royaume est le monde, et n’a pas d’horizon. —
Mais non, il ne se peut. La raison… — La raison !
Gouffre où l’on jette tout et qui ne peut rien rendre !
Doute aveugle qui nie à défaut de comprendre !
L’imbécile l’invoque, et rit. C’est plus tôt fait. —
Pourtant, — d’où viendrait-il, ce pouvoir, en effet ?
Dieu marque un but unique à chaque créature.
Les êtres, dont la chaîne embrasse la nature.
Restent tous dans leur sphère, à leur centre, en leur lieu.
La bête ignore l’homme, et l’homme ignore Dieu.
Les cieux ont leur secret, et nous avons le nôtre.
L’âme peut-elle voir d’un monde dans un autre,
Des morts chez les vivants apporter le flambeau ?
Reste-t-elle toujours d’un côté du tombeau ?
Peut-elle après la mort sortir des catacombes.