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Page:Hugo - Actes et paroles - volume 2.djvu/80

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AVANT L’EXIL. — ASSEMBLÉE LÉGISLATIVE

colère, vous déclarez la société en danger, vous vous écriez : Nous allons te châtier, peuple ! Nous allons te punir, peuple ! Tu vas avoir affaire à nous, peuple ! — Et comme ce maniaque de l’histoire, vous battez de verges l’océan ! (Acclamation à gauche.)

Que l’assemblée me permette ici une observation qui, selon moi, éclaire jusqu’au fond, et d’un jour vrai et rassurant, cette grande question du suffrage universel.

Quoi ! le gouvernement veut restreindre, amoindrir, émonder, mutiler le suffrage universel ! Mais y a-t-il bien réfléchi ? Mais voyons, vous, ministres, hommes sérieux, hommes politiques, vous rendez-vous bien compte de ce que c’est que le suffrage universel ? le suffrage universel vrai, le suffrage universel sans restrictions, sans exclusions, sans défiances, comme la révolution de février l’a établi, comme le comprennent et le veulent les hommes de progrès ? (Au banc des ministres : C’est de l’anarchie. Nous ne voulons pas de ça !)

Je vous entends, vous me répondez : — Nous n’en voulons pas ! c’est le mode de création de l’anarchie ! — (Oui ! oui ! à droite.) Eh bien ! c’est précisément tout le contraire. C’est le mode de création du pouvoir. (Bravo ! à gauche.) Oui, il faut le dire et le dire bien haut, et j’y insiste, ceci, selon moi, devrait éclairer toute cette discussion : ce qui sort du suffrage universel, c’est la liberté, sans nul doute, mais c’est encore plus le pouvoir que la liberté !

Le suffrage universel, au milieu de toutes nos oscillations orageuses, crée un point fixe. Ce point fixe, c’est la volonté nationale légalement manifestée ; la volonté nationale, robuste amarre de l’état, ancre d’airain qui ne casse pas et que viennent battre vainement tour à tour le flux des révolutions et le reflux des réactions ! (Profonde sensation.)

Et, pour que le suffrage universel puisse créer ce point fixe, pour qu’il puisse dégager la volonté nationale dans toute sa plénitude souveraine, il faut qu’il n’ait rien de contestable (C’est vrai ! c’est cela !) ; il faut qu’il soit bien réellement le suffrage universel, c’est-à-dire qu’il ne laisse personne, absolument personne en dehors du vote ; qu’il fasse de la cité la chose de tous, sans exception ; car, en