Page:Hugo - La Légende des siècles, 2e série, édition Hetzel, 1877, tome 2.djvu/115

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Mon père ! ô toi le plus terrible, le meilleur,
Je viens à toi. Je suis dans ta sombre chapelle,
Je tombe à tes genoux, m'entends-tu ? Je t'appelle.
Tu dois me voir, le bronze ayant d'étranges yeux.
Ah ! j'ai vécu ; je suis un homme glorieux,
Un soldat, un vainqueur ; mes trompettes altières
Ont passé bien des fois par-dessus des frontières ;
Je marche sur les rois et sur les généraux ;
Mais je baise tes pieds. Le rêve du héros
C'est d'être grand partout et petit chez son père.
Le père c'est le toit béni, l'abri prospère,
Une lumière d'astre à travers les cyprès,
C'est l'honneur, c'est l'orgueil, c'est Dieu qu'on sent tout près.
Hélas ! le père absent c'est le fils misérable.
Ô toi, l'habitant vrai de la tour vénérable,
Géant de la montagne et sire du manoir,
Superbement assis devant le grand ciel noir,
Occupé du lever de l'aurore éternelle,
Comte, baisse un moment ta tranquille prunelle
Jusqu'aux vivants, passants confus, roseaux tremblants,
Et regarde à tes pieds cet homme en cheveux blancs,
Abandonné tout près du sépulcre, qui pleure,
Et qui va désormais songer dans sa demeure,
Tandis que les tombeaux seront silencieux
Et que le vent profond soufflera dans les cieux.
Mon fils sort de chez moi comme un loup d'un repaire.
Mais est-ce qu'on peut être offensé par son père ?
Ni le père, ni Dieu n'offensent ; châtier