Page:Hugo - La Légende des siècles, 2e série, édition Hetzel, 1877, tome 2.djvu/251

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Mais rien ne sait mourir comme les bons vivants.
Moi, je donne mon cœur, mais ma peau, je la vends.
Gloire aux belles ! Trinquons. Votre poste est le pire. —
Car notre colonel avait le mot pour rire.
Il reprit : — Enjambez le mur et le fossé,
Et restez là ; ce point est un peu menacé,
Ce cimetière étant la clef de la bataille.
Gardez-le. — Bien. — Ayez quelques bottes de paille.
— On n'en a point. — Dormez par terre. — On dormira.
— Votre tambour est-il brave ? — Comme Barra.
— Bien. Qu'il batte la charge au hasard et dans l'ombre,
Il faut avoir le bruit quand on n'a pas le nombre.
Et je dis au gamin : — Entends-tu, gamin ? — Oui,
Mon capitaine, dit l'enfant, presque enfoui
Sous le givre et la neige, et riant. — La bataille,
Reprit le colonel, sera toute à mitraille ;
Moi, j'aime l'arme blanche, et je blâme l'abus
Qu'on fait des lâchetés féroces de l'obus ;
Le sabre est un vaillant, la bombe une traîtresse ;
Mais laissons l'empereur faire. Adieu, le temps presse.
Restez ici demain sans broncher. Au revoir.
Vous ne vous en irez qu'à six heures du soir. —
Le colonel partit. Je dis : — Par file à droite !
Et nous entrâmes tous dans une enceinte étroite ;
De l'herbe, un mur autour, une église au milieu,
Et dans l'ombre, au-dessus des tombes, un bon Dieu.