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Page:Hugo - La Légende des siècles, 2e série, édition Hetzel, 1877, tome 2.djvu/253

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Puis je rêvai ; je vis en rêve des squelettes
Et des spectres, avec de grosses épaulettes ;
Par degrés, lentement, sans quitter mon chevet,
J'eus la sensation que le jour se levait,
Mes paupières sentaient de la clarté dans l'ombre ;
Tout à coup, à travers mon sommeil, un bruit sombre
Me secoua, c'était au canon ressemblant ;
Je m'éveillai ; j'avais quelque chose de blanc
Sur les yeux ; doucement, sans choc, sans violence,
La neige nous avait tous couverts en silence
D'un suaire, et j'y fis, en me dressant un trou ;
Un boulet, qui nous vint je ne sais trop par où,
M'éveilla tout à fait ; je lui dis : Passe au large !
Et je criai : — Tambour, debout ! et bats la charge !

Cent-vingt têtes alors, ainsi qu'un archipel,
Sortirent de la neige ; un sergent fit l'appel,
Et l'aube se montra, rouge, joyeuse et lente ;
On eût cru voir sourire une bouche sanglante.
Je me mis à penser à ma mère ; le vent
Semblait me parler bas ; à la guerre souvent
Dans le lever du jour c'est la mort qui se lève.
Je songeais. Tout d'abord nous eûmes une trêve ;
Les deux coups de canon n'étaient rien qu'un signal,
La musique parfois s'envole avant le bal
Et fait danser en l'air une ou deux notes vaines.
La nuit avait figé notre sang dans nos veines,