Page:Hugo - La Légende des siècles, 2e série, édition Hetzel, 1877, tome 2.djvu/268

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Et les passants diront du plus vil des bourreaux,
D'un voleur, d'un goujat : Ce doit être un héros !
La statue est un lâche abus de confiance !
Et l'on verra le peuple, ému, plein de croyance,
Ayant foi dans le bronze infaillible et serein,
Découvrir son grand front pour un faquin d'airain !

Vous allumez la braise et vous creusez le moule ;
Mon bloc fumant se gonfle et tombe, s'enfle et croule ;
Vous fouillez mon flot rouge avec des crocs de fer
Comme font des satans remuant un enfer ;
Vous attisez avec le zinc incendiaire
Mon cratère où bascule et s'épand la chaudière,
Et tout mon dur métal devient une eau de feu,
Et j'écume, et je dis : Hommes, faites-moi dieu !
J'y consens. Et je brûle avec furie et joie.
Faites. Dans mon tourment mon triomphe flamboie.
Quiconque voit ma pourpre auguste est ébloui.
Le noir moule béant, sous la terre enfoui,
S'ouvre à moi comme un gouffre obscur au fond d'un antre,
Et ma voix sombre gronde et crie : Oui, c'est bien, j'entre,
Je serai Washington !... — Je sors, je suis Morny !

Ah ! sous le ciel sacré, sous l'azur infini,
Soyez maudits ! Rugir dans la fournaise ardente,
Moi le bronze ! pour qui ? Pour Gutenberg ? Pour Dante ?