Page:Hugo - La Légende des siècles, 2e série, édition Hetzel, 1877, tome 2.djvu/377

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Le réel, ce fond vrai d'où sort toute la fable,
C'est la nature en fuite à jamais dans la nuit.
Le télescope au fond du ciel noir la poursuit,
Le microscope court dans l'abîme après elle ;
Elle est inaccessible, imprenable, éternelle,
Et n'est pas moins énorme en dessous qu'en dessus.
Des aspects effrayants sont partout aperçus ;
Le spectre vibrion vaut le soleil fantôme ;
Un monde plus profond que l'astre, c'est l'atome ;
Quand, sous l'œil des penseurs, l'infiniment petit
Sur l'infiniment grand se pose, il l'engloutit ;
Puis l'infiniment grand remonte et le submerge.
Mère terrifiante et formidable vierge,
Multipliant son jour par son obscurité
Et sa maternité par sa virginité,
Chaste, obscène, et montrant aux mornes Pythagores
Son ventre ténébreux d'où sortent les aurores,
La nature fatale engendre éperdûment
Des chaos d'où jaillit cette loi, l'élément.
Elle est le haut, le bas, l'immense ombre, l'aïeule ;
Toute sa foule étant elle-même, elle est seule ;
Monde, elle est la nature ; âme, on l'appelle Dieu.
Tout être, quel qu'il soit, du gouffre est le milieu ;
Pas de sortie et pas d'entrée ; aucune porte ;
On est là. — C'est pourquoi le chercheur triste avorte ;
C'est pourquoi le ciel juif succède au ciel romain ;
C'est pourquoi ce songeur épars, le genre humain,
Entend à chaque instant vagir de nouveaux cultes ;