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Page:Hugo - Les Travailleurs de la mer Tome I (1891).djvu/192

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LES TRAVAILLEURS DE LA MER

une belle dame de la high life de Saint-Sampson, femme d’un forgeron riche ne travaillant plus, une sixty, comme on dit à Guernesey, dit à mess Lethierry : désormais j’appellerai votre fille Nancy. — Pourquoi pas Lons-Le-Saulnier ? dit-il. La belle dame ne lâcha point prise, et lui dit le lendemain : Nous ne voulons décidément pas de Déruchette. J’ai trouvé pour votre fille un joli nom, Marianne. — Joli nom en effet, repartit mess Lethierry, mais composé de deux vilaines bêtes, un mari et un âne. Il maintint Déruchette.

On se tromperait si l’on concluait du mot ci-dessus qu’il ne voulait point marier sa nièce. Il voulait la marier, certes, mais à sa façon. Il entendait qu’elle eût un mari dans son genre à lui, travaillant beaucoup, et qu’elle ne fît pas grand’chose. Il aimait les mains noires de l’homme et les mains blanches de la femme. Pour que Déruchette ne gâtât point ses jolies mains, il l’avait tournée vers la demoiselle. Il lui avait donné un maître de musique, un piano, une petite bibliothèque, et aussi un peu de fil et d’aiguilles dans une corbeille de travail. Elle était plutôt liseuse que couseuse, et plutôt musicienne que liseuse. Mess Lethierry la voulait ainsi. Le charme, c’était tout ce qu’il lui demandait. Il l’avait élevée plutôt à être fleur qu’à être femme. Quiconque a étudié les marins comprendra ceci. Ces rudesses aiment ces délicatesses. Pour que la nièce réalisât l’idéal de l’oncle, il fallait qu’elle fût riche. C’est bien ce qu’entendait mess Lethierry. Sa grosse machine de mer travaillait dans ce but. Il avait chargé Durande de doter Déruchette.