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Page:Hugo - Les Travailleurs de la mer Tome I (1891).djvu/336

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LES TRAVAILLEURS DE LA MER

effacent dans la transparence sinistre. D’effroyables essaims nageants rôdent, faisant ce qu’ils ont à faire. C’est une ruche d’hydres.

L’horrible est là, idéal.

Figurez-vous, si vous pouvez, un fourmillement d’holothuries.

Voir le dedans de la mer, c’est voir l’imagination de l’inconnu. C’est la voir du côté terrible. Le gouffre est analogue à la nuit. Là aussi il y a sommeil, sommeil apparent du moins, de la conscience de la création. Là s’accomplissent en pleine sécurité les crimes de l’irresponsable. Là, dans une paix affreuse, les ébauches de la vie, presque fantômes, tout à fait démons, vaquent aux farouches occupations de l’ombre.

Il y a quarante ans, deux roches d’une forme extraordinaire signalaient de loin l’écueil Douvres aux passants de l’océan. C’étaient deux pointes verticales, aiguës et recourbées, se touchant presque par le sommet. On croyait voir sortir de la mer les deux défenses d’un éléphant englouti. Seulement c’étaient les défenses, hautes comme des tours, d’un éléphant grand comme une montagne. Ces deux tours naturelles de l’obscure ville des monstres ne laissaient entre elles qu’un étroit passage où se ruait la lame. Ce passage, tortueux et ayant dans sa longueur plusieurs coudes, ressemblait à un tronçon de rue entre deux murs. On nommait ces roches jumelles les deux Douvres. Il y avait la grande Douvre et la petite Douvre ; l’une avait soixante pieds de haut, l’autre quarante. Le va-et-vient de la vague a fini par donner un trait de scie dans la base de ces tours, et le violent coup d’équinoxe du 26 octobre 1859 en a ren-