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LES TRAVAILLEURS DE LA MER

La déviation à l’est était sans but désormais. Le capitaine remit le cap sur Guernesey et augmenta la vapeur.

Le passager guernesiais, rôdant autour de la chambre à feu, entendit le nègre Imbrancam qui parlait au chauffeur son camarade. Le passager prêta l’oreille. Le nègre disait :

— Ce matin dans le soleil nous allions lentement ; à présent dans le brouillard nous allons vite.

Le guernesiais revint vers sieur Clubin.

— Capitaine Clubin, il n’y a pas de soin, pourtant ne donnons-nous pas trop de vapeur ?

— Que voulez-vous, monsieur ? Il faut bien regagner le temps perdu par la faute de cet ivrogne de timonier.

— C’est vrai, capitaine Clubin.

Et Clubin ajouta :

— Je me dépêche d’arriver. C’est assez du brouillard, ce serait trop de la nuit.

Le guernesiais rejoignit les malouins, et leur dit :

— Nous avons un excellent capitaine.

Par intervalles, de grandes lames de brume, qu’on eût dit cardées, survenaient pesamment et cachaient le soleil. Ensuite, il reparaissait plus pâle et comme malade. Le peu qu’on entrevoyait du ciel ressemblait aux bandes d’air sales et tachées d’huile d’un vieux décor de théâtre.

La Durande passa à proximité d’un coutre qui avait jeté l’ancre par prudence. C’était le shealtiel de Guernesey. Le patron du coutre remarqua la vitesse de la Durande. Il lui sembla aussi qu’elle n’était pas dans la route exacte. Elle lui parut trop appuyer à l’ouest. Ce navire à toute vapeur dans le brouillard l’étonna.