Aller au contenu

Page:Hugo - William Shakespeare, 1864.djvu/394

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée

applaudi par des mains noires de goudron, acclamé par tous les rauques enrouements qui sortent du travail et de la fatigue. Le drame de Shakespeare est peuple ; l’école s’indigne et dit : Odi profanum vulgus. Il y a de la démagogie dans cette poésie en liberté ; l’auteur de Hamlet « sacrifie à la canaille ».

Soit. Le poëte « sacrifie à la canaille ».

Si quelque chose est grand, c’est cela.

Il y a là au premier plan, partout, en plein soleil, dans la fanfare, les hommes puissants suivis des hommes dorés. Le poëte ne les voit pas, ou, s’il les voit, il les dédaigne. Il lève les yeux et regarde Dieu ; puis il baisse les yeux et regarde le peuple. Elle est tout au fond de l’ombre, presque invisible à force de submersion dans la nuit, cette foule fatale, cette vaste et lugubre souffrance amoncelée, cette vénérable populace des déguenillés et des ignorants. Chaos d’âmes. Cette multitude de têtes ondule obscurément comme les vagues d’une mer nocturne. De temps en temps passent sur cette surface, comme les rafales sur l’eau, des catastrophes, une guerre, une peste, une favorite, une famine. Cela fait un frémissement qui dure peu, le fond de la douleur étant immobile comme le fond de l’océan. Le désespoir dépose on ne sait quel plomb horrible. Le dernier mot de l’abîme est