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HERNANI.

Car la haine est vivace entre nos deux familles.
Les pères ont lutté sans pitié, sans remords,
Trente ans ! Or, c’est en vain que les pères sont morts !
Leur haine vit. Pour eux la paix n’est point venue,
Car les fils sont debout, et le duel continue.
Ah ! c’est donc toi qui veux cet exécrable hymen !
Tant mieux. Je te cherchais, tu viens dans mon chemin !

Doña Sol.

Vous m’effrayez.

Hernani.

Vous m’effrayez.Chargé d’un mandat d’anathème,
Il faut que j’en arrive à m’effrayer moi-même !
Écoutez. L’homme auquel, jeune, on vous destina,
Ruy de Silva, votre oncle, est duc de Pastraña,
Riche-homme d’Aragon, comte et grand de Castille.
À défaut de jeunesse, il peut, ô jeune fille,
Vous apporter tant d’or, de bijoux, de joyaux,
Que votre front reluise entre des fronts royaux,
Et pour le rang, l’orgueil, la gloire et la richesse,
Mainte reine peut-être envîra sa duchesse !
Voilà donc ce qu’il est. Moi, je suis pauvre, et n’eus,
Tout enfant, que les bois où je fuyais pieds nus.
Peut-être aurais-je aussi quelque blason illustre
Qu’une rouille de sang à cette heure délustre ;
Peut-être ai-je des droits, dans l’ombre ensevelis,
Qu’un drap d’échafaud noir cache encor sous ses plis
Et qui, si mon attente un jour n’est pas trompée,
Pourront de ce fourreau sortir avec l’épée.
En attendant, je n’ai reçu du ciel jaloux
Que l’air, le jour et l’eau, la dot qu’il donne à tous.
Ou du duc ou de moi souffrez qu’on vous délivre,
Il faut choisir des deux, l’épouser, ou me suivre.

Doña Sol.

Je vous suivrai.