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Page:Hugo Rhin Hetzel tome 1.djvu/111

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Dans un autre moment, il m’avait dit : — Tel que vous me voyez, monsieur, j’appartiens à trois nations ; je suis prussien de hasard, suisse de métier, français de cœur.

Du reste, je dois convenir que son ignorance militaire des choses ecclésiastiques m’avait fait sourire plus d’une fois pendant le cours de cette visite, notamment dans le chœur, lorsqu’il me montrait les stalles en me disant avec gravité : — Voici les places des chamoines. — Ne pensez-vous pas que cela doive s’écrire chats-moines ?

En quittant la Chapelle, j’étais tellement absorbé par une pensée unique, que c’est à peine si j’ai regardé à quelques pas de l’église une façade, pourtant fort belle, du quatorzième siècle, ornée de sept fières statues d’empereurs, qui donne passage aujourd’hui dans je ne sais quel cloaque. Et puis en ce moment-là il m’est survenu une distraction. Deux visiteurs comme moi sortaient de la Chapelle où mon vieux soldat venait probablement de les piloter pendant quelques minutes. Comme ils riaient aux éclats, je me suis retourné. J’ai reconnu deux voyageurs dont le plus âgé avait écrit le matin même devant moi son nom sur le registre de l’hôtel de l’Empereur, M. le comte d’A —, un des plus vieux et des plus nobles noms de l’Artois. Ils parlaient haut.

— Voilà des noms ! disaient-ils. Il a fallu la révolution pour produire ces noms-là. Le capitaine Lasoupe ! le colonel Graindorge ! Mais d’où cela sort-il ? C’étaient les noms du capitaine et du colonel de mon pauvre suisse, qui leur en avait apparemment parlé comme à moi. Je n’ai pu m’empêcher de leur répondre : — D’où cela sort ? je vais vous le dire, messieurs. Le colonel Graindorge était arrière-petit-cousin du maréchal de Lorge, beau-père du duc de Saint-Simon ; et, quant au capitaine Lasoupe, je lui suppose quelque parenté avec le duc de Bouillon, oncle de l’électeur palatin.

Quelques instants après j’étais sur la place de l’hôtel-de-Ville, où j’avais hâte d’arriver.

L’hôtel de ville d’Aix est, comme la Chapelle, un édifice fait de cinq ou six autres édifices. Des deux côtés d’une sombre façade à fenêtres longues, étroites et rapprochées, qui date de Charles-Quint, s’élèvent deux beffrois, l’un bas,