Page:Hugo Rhin Hetzel tome 1.djvu/207

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l’empereur Yas ; et encore pour les chinois l’empereur n’est-il pas un homme, c’est un être fantastique dont la réalité disparaît sous les titres bizarres dont ils l’affublent. lis ne connaissent pas sa nature, car ils l’appellent le Dragon ; ils ignorent son âge, car ils l’appellent Dix-Mille-Ans ; ils ne savent pas son sexe, car ils l’appellent la Mère.

Mais que vais-je faire en Chine ? Je reviens à Lorch. Pardonnez-moi l’enjambée.

Le premier vin rouge du Rhin s’est fait à Lorch. Lorch existait avant Charlemagne et a laissé trace dans des chartes de 732. Henri III, archevêque de Mayence, s’y plaisait et y résida en 1343. Aujourd’hui il n’y a plus à Lorch ni chevaliers romains, ni fées, ni archevêques ; mais la petite ville est heureuse, le paysage est magnifique, les habitants sont hospitaliers. La belle maison de la renaissance qui est au bord du Rhin a une façade aussi originale et aussi riche en son genre que celle de notre manoir français de Meillan. La forteresse fabuleuse du vieux Sibo protège le bourg, que menace de l’autre rive du fleuve le château historique de Furstenberg avec sa grande tour, ronde au dehors, hexagone au dedans. Et rien n’est charmant comme de voir prospérer joyeusement cette petite colonie vivace de paysans entre ces deux effrayants squelettes qui ont été deux citadelles.

Maintenant voici comment une de mes nuits a été troublée à Lorch.

L’autre semaine, il pouvait être une heure du matin, tout le bourg dormait, j’écrivais dans ma chambre, lorsque tout à coup je m’aperçois que mon papier est devenu rouge sous ma plume. Je lève les yeux, je n’étais plus éclairé par ma lampe, mais par mes fenêtres. Mes deux fenêtres s’étaient changées en deux grandes tables d’opale rose à travers lesquelles se répandait autour de moi une réverbération étrange. Je les ouvre, je regarde. Une grosse voûte de flamme et de fumée se courbait à quelques toises au-dessus de ma tête avec un bruit effrayant. C’était tout simplement l’hôtel P— , le gasthaus voisin du mien, qui avait pris feu, et qui brûlait.

En un instant, l’auberge se réveille, tout le bourg est sur pied, le cri : Feuer ! feuer ! emplit le quai et les rues,