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Page:Hugo Rhin Hetzel tome 3.djvu/92

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voyageait en vins (en vain) ; de plus ayant sur les joues des favoris comme les caniches tondus en ont ailleurs. ― Voyant ceci, je suis monté sur l’impériale.

Il faisait assez froid ; j’y étais seul.

Les jeunes filles de ce côté du Haut-Rhin ont un costume exquis ; cette coiffure-cocarde dont je vous ai parlé, un jupon brun à gros plis assez court et une veste d’homme en drap noir avec des morceaux de soie rouge imitant des crevés et des taillades cousus à la taille et aux manches. Quelques-unes, au lieu de cocarde, ont un mouchoir rouge noué en fichu sous le menton. Elles sont charmantes ainsi. Cela ne les empêche pas de se moucher avec leurs doigts.

Vers huit heures du matin, dans un endroit sauvage et propre à la rêverie, j’ai vu un monsieur d’âge vénérable, vêtu d’un gilet jaune, d’un pantalon gris et d’une redingote grise, et coiffé d’un vaste chapeau rond, ayant un parapluie sous le bras gauche et un livre à la main droite. Il lisait attentivement. Ce qui m’inquiétait, c’est qu’il avait un fouet à la main gauche. De plus, j’entendais des grognements singuliers derrière une broussaille qui bordait la route. Tout à coup la broussaille s’est interrompue, et j’ai reconnu que ce philosophe conduisait un troupeau de cochons.

Le chemin de Freiburg à Bâle court le long d’une magnifique chaîne de collines déjà assez hautes pour faire obstacle aux nuages. De temps en temps on rencontre sur la route un chariot attelé de bœufs conduit par un paysan en grand chapeau, dont l’accoutrement rappelle la basse Bretagne ; ou bien un roulier traîné par huit mulets ; ou une longue poutre qui a été un sapin, et qu’on transporte à Bâle sur deux paires de roues qu’elle réunit comme un trait d’union ; ou une vieille femme à genoux devant une vieille croix sculptée. Deux heures avant d’arriver à Bâle, la route traverse un coin de forêt : des halliers profonds, des pins, des sapins, des mélèzes ; par moments une clairière, dans laquelle un grand chêne se dresse seul comme le chandelier à sept branches ; puis des ravins où l’on entend murmurer des torrents. C’est la Forêt-Noire.