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Page:Huot - La ceinture fléchée, 1926.djvu/30

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LA CEINTURE FLÉCHÉE

ment ça. Eh bien ! Mes enfants, nous avons promis, nous devons tenir. Il est vrai que maintenant nous avons des doutes sur l’honnêteté du vieillard. Mais ce n’est pas une raison pour le trahir sans l’avoir entendu. Voici ce que nous allons faire. Gédéon va se rendre à la maisonnette en bois rond. Il va expliquer au vieux ce qui en est et lui demander des explications sur tout cela. Si les explications sont satisfaisantes, nous continuerons à nous taire ; sinon nous parlerons. »

Les enfants approuvèrent la sagesse des paroles de leur père. Pour une fois, la mère Lepage opina dans le même sens.


CHAPITRE XVI

LE PHILOSOPHE DE LA FORÊT


Suivant les instructions de son père, Gédéon Lepage s’était rendu chez le vieillard mystérieux et lui avait posé l’ultimatum de la famille.

— Ainsi, Gédéon, fit le vieillard en se promenant nerveusement, vous n’avez plus confiance en moi.

— Bien, monsieur, nous ne savons que penser. Ça tire à « hue », ça tire à « dia ». Il y en a qui vous disent honnête, d’autres croient que vous êtes un criminel. Nous ne voudrions pas être jetés en prison, nous autres, voyez-vous !

— Qui vous a mis cette idée en tête, que j’étais un voleur ?

— Un nommé Mainville est venu chez nous aujourd’hui. C’est un détective. Ça nous a fait peur, vous comprenez.

Le vieillard connaissait bien Mainville, le détective fameux dont la renommée dépassait les frontières de la province de Québec.

Il se demandait ce que Mainville pouvait bien venir faire dans la région.

Question qui l’intriguait, qui lui inspirait même des craintes vagues.

— Enfin, que voulez-vous de moi ? demanda le vieillard.

— Nous voulons savoir votre nom, votre adresse, ce que vous faites et pourquoi vous êtes venu ici.

Le vieillard réfléchit :

— Eh bien, je m’en vais vous le dire, mais à une condition, c’est que vous ne le répéterez à personne. Promets-tu, Gédéon ?

— Je promets que le secret ne sortira pas de la famille.

L’autre se recueillit, puis il commença son histoire :

— Je viens de la Rivière-du-Loup où je suis propriétaire de la plus importante maison d’affaires de la ville. J’ai toujours fait de l’argent comme de l’eau. La vie m’a constamment donné ce que je lui demandais. À la fin, je n’eus plus rien à souhaiter : j’avais tout. Alors une tristesse m’envahit, celle de la solitude dans un luxe effarant. Je me mis à négliger mes affaires qui en étaient venues à m’ennuyer. Heureusement elles ne périclitèrent pas, car j’avais des employés intelligents et dévoués. À la fin, je me pris à réfléchir et je me dis qu’il me fallait quelque chose pour me relever le moral. Mais quoi ? J’avais tout ce qu’un vieillard peut désirer de biens terrestres. Que me manquait-il ? Soudain, un jour, je le trouvai. Ce qui me manquait, c’étaient la pauvreté, les privations. Alors je décidai de tout quitter pour venir passer un hiver dans la forêt et y mener une vie dure et solitaire. Après quelques mois d’une telle existence, j’étais sûr que j’allais reprendre avec un grand bonheur ma vie aisée d’autrefois.

Le vieillard se tut quelques instants.

— Voilà pourquoi je suis ici, Gédéon. Comprends-tu maintenant ?

Le jeune paysan hocha la tête :

— Je comprends… un peu, dit-il. Enfin vous êtes instruit et moi pas. Il y a des choses qui me dépassent. Mais je crois avoir saisi le principal.

— Au printemps, je retournerai à la Rivière-du-Loup et vous n’entendrez plus parler de moi. Es-tu satisfait maintenant ?

— Oui, oui.

Quand Gédéon eut pris congé de lui, le vieillard poussa un ouf ! de satisfaction. Un grand poids venait de lui être enlevé des épaules : le jeune Lepage avait oublié de lui demander son nom.

— Ma foi ! dit-il à mi-voix, il y a bien longtemps que je n’ai raconté une telle série de mensonges. En tout cas, il croit à mon histoire, c’est le principal.

De son côté, en retournant chez son père, Gédéon se disait :

— Je n’ai pas compris un traître mot à l’histoire du vieux. Mais il racontait ça avec un air si honnête, si convaincu que je suis sûr que c’est la vérité.


CHAPITRE XVII

L’IDYLLE D’ALICE ET DE JACQUES


L’aveu que Jacques Martial avait fait à