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Page:Ibn Battuta - Voyages - Traduction Sanguinetti - Volume 1.djvu/48

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repas. Il nous mena ensuite chez les consuls des Vénitiens, des Catalans et des Génois, pour lesquels nous avions des lettres de recommandation, et dont nous fûmes fort bien reçus.

On dit qu’Alexandrie compte environ soixante mille habitants, mahométans, israélites et chrétiens renégats. Il y a un amiral (émir), et beaucoup de soldats ; ils nous maltraiteraient, s’ils s’apercevaient que nous examinassions leurs forteresses, car ils craignent les Francs. La milice qui sert sous ledit amiral est composée de Tartares, de Turcs, d’Arabes et de quelques Syriens, Il y a dans Alexandrie un gouverneur du sultan appelé Lamelech (Elmélic), au palais duquel nous nous rendîmes. A l’extrémité d’un escalier, on nous fit ôter nos chaussures et on nous introduisit dans une grande salle. On nous fit agenouiller, puis nous baisâmes chacun notre main droite et nous répétâmes plusieurs fois cette cérémonie ; enfin, nous fûmes admis en présence du gouverneur, et celui-ci nous adressa, par l’intermédiaire d’un drogman, plusieurs questions concernant notre pays[1].

La ville d’Alexandrie est située sur le bord de la mer ; elle est à peu près aussi grande que Florence et fait beaucoup de commerce, surtout en épices, sucre et draps de soie. « Un des usages des habitants, c’est d’accompagner, avec beaucoup d’empressement, les morts aux cimetières, qui sont situés hors de la ville[2], dans une plaine, vers la vieille Alexandrie. Si le défunt est riche, sa famille le fait suivre de beaucoup de portefaix chargés de moutons, qu’on tue, et qu’on donne ensuite à manger par charité aux pauvres et aux prêtres musulmans. Il n’est permis à aucun chrétien de se trouver à ces cérémonies. Quand les musulmans font leur prière, tous les chrétiens francs sont renfermés dans une habitation appelée il cane (le chien ; lisez [arabe] khan, hôtellerie), et le nom de celui qui est chargé de les enfermer est canattiere (valet des chiens), ce qui revient à dire que nous sommes des chiens. Les autres chrétiens (les indigènes) ne sont point renfermés ; mais ils restent dans leurs maisons, jusqu’à ce que les musulmans sortent de leurs temples[3]. »

  1. Pages 78-80.
  2. Conf. ci-dessous, p. 46, le passage où Ibn Batoutah observe que les habitants d’Alexandrie avaient coutume de visiter les tombeaux, tous les vendredis, après la prière. Voyez aussi la page 28.
  3. Pages 81-84.