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Page:Jeanne-Landre-Echalote continue 1910.djvu/86

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ÉCHALOTE CONTINUE…

patte, insensible à la fumée qui envahissait son perchoir.

Le tenancier, qui ressemblait à Verlaine et s’habillait comme un Lapon, allait d’une table à l’autre, une guitare sous le bras et à chaque invite s’asseyait, faisait vibrer les cordes de son instrument et entonnait, d’une voix en demi-teinte, quelque chanson du vieux temps.

Il y avait de tout dans cette auberge, des apaches et des filles, des poètes et des esthètes. Des amants mélancoliques et purotains s’y dondaient rendez-vous et de vieux bohèmes y séjournaient, falots et silencieux. Dans la pénombre on distinguait parfois le pâle faciès de Jehan Rictus ou le feutre de Bruant. Le cadre était en harmonie avec la détresse de l’amour, du crime, de l’art incompris, avec le besoin de silence des âmes compliquées et vaincues. C’était le dernier endroit de la Butte ayant gardé une couleur locale et qui, tout en évoquant une beuverie de Rembrandt, permettait aux excursionnistes de croire à leur initiation montmartroise.

Échalote elle-même se sentait pleine de respect en pénétrant dans cet antre et, quand un client galant se risquait à lui demander une chanson-