Page:Kirby - Le chien d'or, tome I, trad LeMay, 1884.djvu/68

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
56
le chien d’or

des marchands de la Nouvelle France. Cette compagnie avait le monopole des importations et des exportations. Elle possédait ses privilèges en vertu d’ordonnances royales et de décrets de l’Intendant, et elle en abusait largement. Elle ruinait toutes les entreprises commerciales de la colonie. Elle était naturellement haïe, et méritait cent fois le nom de Friponne, que le peuple volé et pressuré lui avait donné avec ses malédictions.

— On dit, Jean, reprit Babet, qui possédait un esprit pratique et savait, en bonne ménagère, le prix des denrées et les bons marchés à faire, on dit, Jean, que le bourgeois Philibert ne cédera pas comme les autres marchands. Il se moque de l’Intendant et continue à acheter et à vendre à son comptoir, comme il l’a toujours fait, en dépit de la Friponne.

— Oui, Babet, c’est ce qu’on rapporte. Mais je n’aimerais pas à être dans ses bottes, s’il entre en guerre avec l’Intendant. C’est un vrai Turc que l’Intendant.

— Ouais ! Jean, tu as moins de courage qu’une femme. Toutes les femmes sont en faveur du bourgeois. C’est un marchand honnête, qui vend à bon marché et ne vole personne.

En parlant ainsi, Babet jetait un regard complaisant sur sa robe neuve, une robe qu’elle venait d’acheter à bonnes conditions, au magasin du bourgeois. Elle avait intérêt du reste, à parler ainsi, vu que Jean l’avait grondée un peu, — il ne faisait jamais plus, — à cause de sa vanité. Pourquoi en effet, avait-il murmuré, acheter, comme une dame de la ville, une jolie robe de fabrique française, quand toutes les femmes de la paroisse portent, à l’église comme au marché, des jupons d’étoffe du pays ?

Jean n’avait pas eu le courage de dire un mot de plus. C’est qu’en vérité il trouvait Babet bien plus jolie dans cette robe d’indienne que dans sa jupe de droguet, bien que la robe d’indienne coûtât le double.

Il ferma les yeux sur la petite extravagance et se mit à parler du bourgeois.

— On dit que le roi a les bras longs, mais cet In-