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INTRODUCTION


soutint mieux sa fortune : il est le héros du Népal moderne, l’idéal du Gourkha nouveau style ; la littérature et la presse ont rendu ses aventures et ses prouesses populaires, même en Occident. Brave autant que dissimulé, le coup d’œil rapide, l’esprit perspicace, toujours sur ses gardes et maître de lui, expert aux mœurs des bêtes et des hommes, chasseur de fauves sans rival, cavalier incomparable, il endort ou déconcerte ses adversaires, frappe sans scrupule le coup décisif, et fait face partout à la fois. S’il le faut, il pirouette à cheval sur une planche au-dessus d’un abîme, il passe une journée accroché de ses ongles crispés au mur d’un puits, suit le tigre dans les hautes herbes, abat d’un coup de feu ses concurrents au pouvoir ou les livre à la tuerie d’une soldatesque effrénée. Il ne craint pas de heurter les préjugés de la caste, si rigoureux chez les Gourkhas, ou de laisser vacant un poste convoité ; il se rend en Europe, est « le lion » de la saison à Londres et à Paris, et rentre au Népal avec un prestige doublé. Par prudence, il n’usurpe pas le trône ; il est premier ministre, dictateur ; il se fait octroyer le titre de mahârâja, joue la comédie de l’abdication pour éprouver son entourage et reconnaître ses forces, et reparaît plus puissant que jamais. Après lui la dictature échappe à sa lignée directe et passe à ses neveux par un drame de famille sanglant. Le premier ministre actuel, Chander Sham Sher Jang (Čandra Çama Çera Jaṅga) Rana Bahadur, a succédé à ses deux frères Bir (Vîra) Sham Sher et Deb (Deva) Sham Sher, l’un mort, l’autre déposé ; il porte les titres de mahârâja, premier ministre et maréchal du Népal. Le roi, Pṛthvî Vîra Vikrama Sâha porte le titre d’Adhirâja (vulg. Dhirâj) ; il vit confiné dans son palais, livré aux femmes et à la boisson, exhibé comme une poupée inconsciente aux jours de grande cérémonie.

Ce régime despotique, qui concentre tous les pouvoirs