Page:La Revue hebdomadaire 1896 n 228-232.pdf/627

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.

me servira peut-être mal ; c’est si loin, tout cela ! Vous voudrez bien excuser à ses défaillances.

« On a dit que j’avais conseillé le retour en France d’Alfred de Musset pour rester seul auprès de la Sand (le docteur Pagello ne parle pas en d’autres termes de Mme Sand ; mais hâtons-nous de dire que cette expression n’a dans sa bouche aucun caractère injurieux). C’est une erreur absolue. C’est Alfred de Musset qui voulut, malgré mes conseils, joints aux prières de George Sand, s’embarquer pour la France, encore incomplètement remis et à peine convalescent d’une maladie à laquelle il avait failli succomber. Cette maladie avait été des plus sérieuses ; vous en jugerez quand vous saurez que c’était une typhoïdette (sic), compliquée de délire alcoolique. Alfred de Musset, d’après moi, n’était pas un épileptique, ainsi que certains l’ont insinué ; les crises qu’il avait étaient des crises d’alcoolisme aigu ; c’était un fort buveur, et, comme il avait un système nerveux très surmené, l’usage des boissons spiritueuses a achevé de le détraquer…

« Quelle a été notre existence commune, à la Sand et à moi, après le départ de Musset, je vais essayer de vous le dire. Nous avons quitté presque tout de suite l’hôtel Danieli pour prendre un appartement à San Fantino, au centre de Venise, où nous installâmes notre ménage. Mon frère Robert, qui est mort il y a six ans, en 1890, habitait sous le même toit que nous. Il ne comprenait pas, lui qui ne cédait pas facilement aux emportements de la passion, comment j’avais pu m’éprendre de la Sand, peu séduisante à son gré ; il faut vous dire que George Sand était très amaigrie à cette époque. Dès que mon oncle connut ma liaison, il interdit à mon frère de rester plus longtemps avec nous. Et pourtant notre vie ne se passait pas qu’en plaisirs. George Sand travaillait, et travaillait beaucoup. Elle ne se permettait qu’une distraction, c’était