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Page:Laisnel de La Salle - Croyances et légendes du centre de la France, Tome 1.djvu/175

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souvenirs

vous m’avez baptisé Jean le Chanceux. Grâce au curé de notre paroisse, je sais lire et écrire, et avec cela, je dois, il me semble, arriver à quelque chose et améliorer notre sort à tous trois.

— Pierre qui roule n’amasse pas de mousse, repartit en grognant le vieux sabotier.

— Non, mais elle se polit, à ce que dit monsieur le curé.

— Qu’est-ce que tu me chantes là ? reprit le père, qui ne comprenait pas. Va-t-en au Diable ! et que je n’entende plus parler de toi.

Malgré cette rebuffade, le jeune homme n’en procéda pas moins sur-le-champ à ses préparatifs de départ, ce qui lui prit peu de temps. Puis il embrassa sa mère, qui sanglotait, tendit la main à son père, qui lui tourna le dos et lui cria pour la seconde fois :

— Va-t’en au Diable !

— Vous me congédiez avec une bien mauvaise parole, dit tristement le fils, en franchissant le seuil de la cabane.

L’intention de Jean était de se rendre dans quelque grande ville et d’y chercher sans retard un emploi. Or la ville la plus proche était encore assez éloignée, et il fallait pour s’y rendre traverser toute la forêt. Il y avait déjà sept grandes heures qu’il cheminait sous la haute futaie, et néanmoins ni la fatigue, ni la nuit qui approchait, ne le préoccupaient, tant il était absorbé par les rêves d’avenir, plus riants les uns que les autres, qui défilaient dans son cerveau, lorsque tout à coup il se trouva en présence d’un petit monsieur habillé tout de noir et dont les yeux jetaient dans l’ombre, qui commençait à s’épaissir, un éclat singulier. — Jean le salua, et, tout en s’écartant du sentier pour le laisser passer, lui demanda :

Monsieur, pourriez-vous me dire si je suis encore bien loin de la sortie de la forêt ?

— Tu en approches, mon garçon. Mais où vas-tu par là ?