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PRÉFACE.

Grèce, atteinte dans sa fécondité par la suppression de ses libertés, atteinte dans sa vie par la mort de Philopœmen, le dernier de ses héros, ne devait plus s’attendre qu’à être ensevelie, avec ses dieux, sous l’amère et dissolvante ironie de Lucien. Alexandrie, asile de l’intelligence proscrite ou comprimée, ne pouvait avoir d’autre génie que le génie de la conservation, et se trouvait ainsi destituée de toute initiative ; le reste se partageait entre Rome et les peuples qu’on appelait Barbares. Mais Rome n’avait plus de vitalité et l’avenir lui échappait. Les Gracques avaient vainement essayé une transformation sociale à l’intérieur ; César avait vainement imaginé une transformation sociale à l’extérieur ; l’oligarchie romaine, conséquente avec ses intérêts de caste, et avec l’esprit positif de son pays, supprimait les rêveurs par la roche Tarpéienne ou par le poignard. La matière dominait l’esprit, la force s’imposait au droit. Auguste, qui, selon nous, a donné improprement son nom à la plus belle période de la littérature latine, ajoutait la ruse à la force. L’âme romaine n’était plus à Rome, parce que sa raison d’être providentielle avait cessé d’exister. Les descendants de ces vieux Quirites, qui avaient cru à l’enlèvement de Romulus par leurs dieux, ne croyaient plus en eux-mêmes. La dissolution du monde ancien, sans être évidente, était complète, universelle, malgré son pouvoir encore très-grand et son prestige encore intact. C’est alors que du fond de la Judée, soumise à ces mêmes Romains auxquels l’initiative venait de manquer, apparaissait l’astre du monde nouveau.

Croyances, lois, mœurs, le christianisme renouvelle tout. Il franchit, dès sa naissance, des barrières qu’on croyait insurmontables, les rivalités des classes et des races ; il appelle les hommes frères, et les déclare égaux ; il leur dit qu’il y a un seul Dieu, une âme immortelle et responsable, que les fautes sont inhérentes à la nature humaine, et que le pardon n’attend que le repentir. Il proclame devant tous la vie de l’esprit et son triomphe sur la matière ; il nous apprend que la haine tue, et que l’amour féconde, et il nous convie, après avoir accompli notre tâche commune de labeur, aux béatitudes d’une vie éternelle. Douce religion, qui se base sur le dévouement sublime de son fondateur ; douce philosophie, qui s’annexe, en les divinisant, le spiritualisme grec par Platon et les traditions orientales par les Alexandrins.

Au moment où Constantin fermait la période de lutte, pour inaugurer la période dogmatique du christianisme, Rome était encore debout avec ses temples aux mille dieux, avec ses aigles victorieuses. Telle qu’elle était, Rome ne pouvait pas comprendre le christianisme, et l’instinct de sa conservation devait lui commander les plus violentes répressions contre ce formidable ennemi. Il fallait donc des peuples jeunes, des natures neuves et promptes à s’émouvoir, pour accomplir la ruine du pouvoir romain et assurer le triomphe de la nouvelle civilisation. C’est pourquoi des multitudes innombrables,