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rempli tous les devoirs d’un bon fils, c’est là le sujet de ma peine.

« J’aurais bien des choses à vous dire, mais je ne puis le faire longuement. Ne vous contristez pas trop, et, après avoir conservé notre corps et notre âme en bon état ici-bas, réunissons-nous pour toujours.

« Charles Ni
« 28 janvier 1802. »


Le lendemain du jour où il écrivait cette lettre, Charles Ni avait la tête tranchée. Il n’était âgé que de vingt-deux ans.

Deux mois avant qu’il consommât aussi son martyre à la capitale, Auguste Niou avait été condamné à mort dans sa province comme rebelle. Ses deux fils, dont l’un, Jean Niou, le mari de Luthgarde, furent enveloppés dans la même sentence, selon la loi coréenne, et tous deux étranglés le 14 novembre 1801. Les autres membres de la famille avaient été condamnés à l’exil. Il fallut contraindre Luthgarde à quitter la prison.

« Suivant la loi, dit-elle au mandarin, tous les chrétiens doivent être mis à mort ; nous demandons à être exécutés promptement. »

Paroles de zèle, que la simplicité et l’ardeur de la foi doivent excuser dans Luthgarde, comme chez tant d’autres martyrs des premiers siècles de l’Église.

Les juges firent d’abord la sourde oreille, et Luthgarde prit, bien qu’à regret, la route de l’exil avec ses compagnons. À peine avaient-ils fait quelques lieues, qu’un contre-ordre du mandarin les ramena de nouveau dans leur prison.

Prévoyant le sort qui l’attendait, Luthgarde écrivit alors une longue lettre à sa sœur et à sa belle-sœur, la femme de son frère Charles, qui était encore en prison. C’est le récit détaillé des craintes, des espérances et des émotions de toutes sortes qu’elle avait éprouvées depuis son départ de la maison paternelle. En Corée, dans beaucoup de pieuses familles, on conserve encore une copie de cette lettre, où Luthgarde fait ses adieux à sa famille dans des termes si délicats, et y montre des sentiments si nobles et si élevés, qu’on oublie presque que la main qui traça ces lignes