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Page:Le Bon - Psychologie politique et défense sociale.djvu/310

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CHAPITRE VII

La défense sociale


L’anarchie et les luttes sociales dont nous avons tracé le tableau se manifestent surtout chez les peuples ayant tenté de rompre avec leur passé et dont la mentalité a par conséquent perdu sa stabilité.

L’âme d’une nation est formée d’un réseau de traditions, de croyances, de sentiments communs, de préjugés même, fixés par hérédité. Cette âme oriente inconsciemment nos pensées et dirige notre conduite. Grâce à elle, les peuples pensent et agissent d’une façon semblable dans les conditions fondamentales de leur existence.

Une société n’est solidement constituée, et l’idée de patrie qui conduit à la défendre, ne peut exister que lorsque l’âme nationale est née. Jusqu’à sa formation, un peuple reste une poussière de barbares capable seulement de cohésion momentanée, et sans lien durable. Il retourne à la barbarie dès que l’âme nationale se désagrège. Rome périt en perdant son âme. Les envahisseurs qui héritèrent de ses ruines, mais non de sa grandeur, mirent plusieurs siècles pour acquérir cette âme nationale, dont la possession pouvait seule les sortir de la barbarie.

Or, nous sommes précisément à une de ces phases critiques de l’histoire où les croyances religieuses, politiques et morales, qui orientaient nos pensées et notre conduite, s’évanouissent progressivement et où celles qui doivent les remplacer ne sont pas formées encore. C’est une terrible chose pour un peuple d’avoir perdu ses dieux. Le scepticisme, possible chez quelques individus, est un sentiment que les foules ne sauraient connaître. Il leur faut un idéal créateur d’espérances. Comme l’a dit très justement un poète :

À l’Homme il faut toujours, incarnant son désir,
Héros, doctrine ou dieu, quelque fétiche étrange.
En vain, sans se lasser, un ténébreux archange
Jette à bas les palais qu’il s’épuise à bâtir.
En vain le Sort moqueur incessamment dérange
Les nuages fuyants qu’il s’obstine à saisir.

(E. Picard. Poésies philosophiques)