Page:Les Soirées de Médan.djvu/122

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marche lente, interrompue par des haltes de plus en plus longues. Le jour finit par se lever et, penché à la portière du wagon, fatigué par les secousses de la nuit, je regarde la campagne qui nous environne : une enfilade de plaines crayeuses et fermant l’horizon, une bande d’un vert pâle comme celui des turquoises malades, un pays plat, triste, grêle, la Champagne pouilleuse !

Peu à peu le soleil s’allume, nous roulions toujours ; nous finîmes pourtant bien par arriver ! Partis le soir à huit heures, nous étions rendus le lendemain à trois heures de l’après-midi à Châlons. Deux mobiles étaient restés en route, l’un qui avait piqué une tête du haut d’un wagon dans une rivière ; l’autre qui s’était brisé la tête au rebord d’un pont. Le reste, après avoir pillé les cahutes et les jardins rencontrés sur la route, aux stations du train, bâillait, les lèvres bouffies de vin et les yeux gros, ou bien jouait, se jetant d’un bout de la voiture à l’autre des tiges d’arbustes et des cages à poulets qu’ils avaient volés.

Le débarquement s’opéra avec le même ordre que le départ. Rien n’était prêt : ni cantine, ni paille, ni manteaux, ni armes, rien, absolument rien. Des tentes seulement pleines de fumier et de poux, quittées à l’instant par des troupes parties à la frontière. Trois jours durant, nous vécûmes au hasard de Mourmelon, mangeant un cervelas un jour, buvant un bol de café au lait un autre, exploités à outrance par les habitants, couchant n’importe comment, sans paille et sans couverture. Tout cela n’était vraiment pas fait pour nous engager à prendre goût au métier qu’on nous infligeait.

Une fois installées, les compagnies se scindèrent ;