Page:Les Soirées de Médan.djvu/125

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clairet et je me déshabille, ravi de m’étendre dans un lit sans garder mes hardes et mes bottes.

Le lendemain matin je suis réveillé vers six heures par un grand fracas de porte et par des éclats de voix. Je me mets sur mon séant, je me frotte les yeux et j’aperçois le monsieur de la veille, toujours vêtu de sa houppelande couleur de cachou, qui s’avance majestueux, suivi d’un cortège d’infirmiers. C’était le major.

À peine entré, il roule de droite à gauche et de gauche à droite ses yeux d’un vert morne, enfonce ses mains dans ses poches et braille :

— Numéro 1, montre ta jambe… ta sale jambe. Eh ! elle va mal, cette jambe, cette plaie coule comme une fontaine ; lotion d’eau blanche, charpie, demi-ration, bonne tisane de réglisse.

— Numéro 2, montre ta gorge… ta sale gorge. Elle va de plus en plus mal cette gorge ; on lui coupera demain les amygdales.

— Mais, docteur…

— Eh ! je ne te demande rien, à toi ; si tu dis un mot, je te fous à la diète.

— Mais enfin…

— Vous fouterez cet homme à la diète. Écrivez : diète, gargarisme, bonne tisane de réglisse.

Il passa ainsi la revue des malades, prescrivant à tous, vénériens et blessés, fiévreux et dysentériques, sa bonne tisane de réglisse.

Il arriva devant moi, me dévisagea, m’arracha les couvertures, me bourra le ventre de coups de poing, m’ordonna de l’eau albuminée, l’inévitable tisane et sortit, reniflant et traînant les pieds.

La vie était difficile avec les gens qui nous entou-