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Page:Les Soirées de Médan.djvu/152

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reux. Le matin se lève, je m’habille et inquiet cependant, je me dirige vers la salle où siège une réunion d’officiers et de médecins.

Un à un, les soldats étalaient des torses creusés de trous ou bouquetés de poils. Le général se grattait un ongle, le colonel de la gendarmerie s’éventait avec un papier, les praticiens causaient en palpant les hommes. Mon tour arrive enfin : on m’examine des pieds à la tête, on me pèse sur le ventre qui est gonflé et tendu comme un ballon, et, à l’unanimité des voix, le conseil m’accorde un congé de convalescence de soixante jours. Je vais enfin revoir ma mère ! retrouver mes bibelots, mes livres ! Je ne sens plus ce fer rouge qui me brûle les entrailles, je saute comme un cabri !

J’annonce à ma famille la bonne nouvelle. Ma mère m’écrit lettres sur lettres, s’étonnant que je n’arrive point. Hélas ! mon congé doit être visé à la Division de Rouen. Il revient après cinq jours ; je suis en règle, je vais trouver sœur Angèle, je la prie de m’obtenir, avant l’heure fixée pour mon départ, une permission de sortie afin d’aller remercier les de Fréchêde qui ont été si bons pour moi. Elle va trouver le directeur et me la rapporte ; je cours chez ces braves gens, qui me forcent à accepter un foulard et cinquante francs pour la route ; je vais chercher ma feuille à l’Intendance, je rentre à l’hospice, je n’ai plus que quelques minutes à moi. Je me mets en quête de sœur Angèle que je trouve dans le jardin, et je lui dis, tout ému :

« Ô chère sœur, je pars ; comment pourrai-je jamais m’acquitter envers vous ? »

Je lui prends la main qu’elle veut retirer, et je la porte à mes lèvres. Elle devient rouge. « Adieu ! murmure-t-elle, et me menaçant du doigt, elle ajoute