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Page:Les Soirées de Médan.djvu/206

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Par une recherche de coiffure, par un nœud de rubans, par un bijou retrouvé, elle essayait de revivre cette existence d’autrefois et de ressusciter pendant une demi-journée ce passé de luxe dont le souvenir la hantait. Puis, quand elle était prête, pimpante et correcte des bottines au chapeau, elle ne pouvait rester dans sa chambre. Tourmentée du besoin de sortir, du désir de se montrer, elle se promenait à pied, seule.

Alors dans la ville sinistre, aux fenêtres fermées, dans les rues où les habitants cédaient le pas aux uniformes et aux casques, tandis que les bourgeois ne mettaient le pied dehors que pour les courses indispensables, la toilette de Mme Pahauën prenait d’indéfinissables intensités de tristesse. Sa grâce devenait lugubre à faire pleurer, sa prétention tournait à l’épouvante. Les rares Versaillais qu’elle rencontrait se retournaient, riant sur son passage. Des quolibets suivaient le murmure empesé des jupons sales frissonnants sous la robe, l’incohérence malheureuse et savante de cette mise tapageuse. Des gouailleurs la comparaient au décrochez-moi ça des filles de maisons publiques, les jours de sortie. Et, à la vérité, c’était une chose comique et navrante que ce spectre de femme à la beauté fuyante, aux cheveux rouges redevenant noirs par suite du manque de la teinture périodique, qui, au milieu de la Prusse, au milieu de l’armée ennemie triomphante, semblait le spectre des élégances mondaines et comme le fantôme des splendeurs de Paris.

Bientôt Mme de Pahauën dut renoncer à ces promenades d’où elle revenait insultée, bernée comme une fille. Elle enferma ses robes dans ses malles, et calfeutrée dans sa chambre, vêtue d’un simple pei-